Le Temps

SIGUR RÓS, UNE EXPÉRIENCE SENSORIELL­E

Ce n’est plus du post-rock mais de la postapocal­ypse. A la fois envoûté et terrorisé, le public est kidnappé dans un autre monde

- PAR PHILIPPE CHASSEPOT

La légende islandaise du post-rock sera à Zurich le 18 octobre. Toujours aussi magiques sur scène, malgré des évolutions regrettabl­es dans leur nouveau spectacle. Récit de la première étape, parisienne, de leur nouvelle tournée Assister à un concert de Sigur Rós, c’est comme entrer en reli- gion. Venus pour succomber aux terribles lamentatio­ns de Jónsi, le chanteur à la voix de falsetto, on se sent presque membre d’une secte. La lumière s’éteint, nos voix aussi, la communion peut commencer, pour deux heures et demie d’une parenthèse enchantée dans la mascarade de nos vies citadines. Ça s’était passé ainsi au Zenith de Paris en février 2013: salle sold out, ensemble de cordes impeccable­s, pas un bruit dans les tribunes pendant l’exécution des seize chefs-d’oeuvre d’une set

list monumental­e.

Idem aux Nuits de Fourvière, dans la canicule lyonnaise de juillet 2016. Avec une touche de folie en plus: celle des coussins verts prêtés par l’organisati­on pour soulager nos postérieur­s martyrisés par les pierres de taille du théâtre. Pour manifester sa joie d’avoir assisté à un son et une lumière plus que parfaits, le public les avait envoyés valser sur l a scène. Les trois membres de Sigur Rós avaient adoré, au point de les relancer dans la fosse, et ce jeu d’échanges avait duré un bon quart d’heure. Jónsi avait même souri à pleines dents, c’est dire… Au public du Montreux Jazz aussi, le trio a offert plusieurs concerts magiques, le dernier en 2016. Mais la tournée européenne de cet automne ne prend pas tout à fait le même chemin. Les Islandais ont changé les règles du jeu: ils n’auraient peut-être pas dû.

UN SON PRESQUE TIMIDE

C’est à Paris, fin septembre, qu’ils ont amorcé leur tournée continenta­le. Trois dates complètes dans le merveilleu­x cadre du Grand Rex, pour un démarrage très en douceur: une nouvelle compositio­n (sobrement intitulée «A») et un «Ekki Mukk» pas vraiment indispensa­ble, avec un son presque timide. Mollasson, mais pas inquiétant quand on sait que le mur de guitares et les couches successive­s de synthé vont débarquer. Chose faite dès le troisième morceau: le sublime «Glosoli», qui nous envoie le sèche-cheveux en pleine tête. Le mariage avec l’animation visuelle est comme toujours parfait: les paysages de lacs et de montagnes embrumés laissent doucement place à des aurores boréales virtuelles aux allures d’explosion nucléaire.

Ce n’est plus du post-rock, mais du post- apocalypti­que. Après avoir rasé la surface terrestre, le groupe nous emmène dans les fonds marins grâce à son «Daudalagid» au final interminab­le, totalement déchirant, comme si Jónsi voulait percer la dernière croûte des abysses pour nous engloutir au centre de la planète. C’est à la fois envoûtant et terrorisan­t, on est kidnappés dans un autre monde, persuadés que le spectacle s’est définitive­ment lancé vers ses sommets habituels. On a tort. Deux petites balades façon interlude, puis les lumières se rallument. Le show n’a pas commencé depuis une heure, et tout s’arrête pour trente minutes d’entracte.

C’est long, trente minutes. Les fumeurs n’ont pas pu s’empêcher d’a llerco nsommer. On ne condamne pas, on a fait partie des leurs pendant de trop longues années, mais ils puent le tabac froid en reprenant leurs places. D’autres n’ont pas fini l eurs coupes de champagne. Et c’est Paris, n’est-ce pas, avec ses éternels indiscipli­nés qu ine répondent pas à l’appel de la sonnerie et se pointent en retard pour la reprise. La magie peutelle revenir? Il faut en tout cas se dépêcher de la saisir, parce que la deuxième partie ne dépassera pas les cinquante minutes, quand bien même deux niveaux au-dessus de la première. Parce qu’arrivent des titres que tout le monde attendait: «Sæglopur», «Ny Battery», «Vaka», ou encore «Festival», pour une séance de frissons incontrôla­bles. Mais cinquante minutes, ça reste terribleme­nt court sur l’échelle Sigur Rós, on a à peine le temps de s’installer qu’il faut déjà s’en aller.

MUSIQUE SURNATUREL­LE

Privilège des groupes immenses: chacune de leur setlist est discutable et forcément discutée, vu la richesse du répertoire. Ce sera encore le cas cette fois-ci. Un seul extrait d’Agætis Byrjun, leur deuxième album sorti en 1999 et qui les a révélés. Un seul du dernier,

Kveikur (2013), pourtant rempli de chansons à la puissance inouïe et qui se marient parfaiteme­nt au live. Quatre nouvelles compositio­ns, aussi, qu’on attendra de réécouter avant de les juger trop vite. En revanche, quatre extraits de (), l’album sans nom paru en 2002, véritable tournant dans l ’ hi s t oi re du g roupe. Jonsi raconte: « On avait signé un contrat avec un label et investi tout l’argent dans un immeuble minable et du matériel d’occasion pour devenir indépendan­ts. On avait reçu beaucoup d’attention trois ans plus tôt, on était devenus très protecteur­s les uns avec les autres. C’était nous contre le reste du monde, jamais une mauvaise chose pour un groupe qui débute.»

Bilan assez contrasté en fin de compte, même si le public a fini debout au Grand Rex. Après avoir été tout mou une grande partie de la soirée. Une constante dans la capitale française, mais il n’était pas le seul fautif ce soir-là. Il était trop difficile de croire à l’énergie renouvelab­le des Islandais, trop de coupures de courant. Mais voir Sigur Rós sur scène reste une expérience sensoriell­e hors du commun. Au-delà de leur musique surnaturel­le, ils imposent une foule d’univers visuels à couper le souffle. Le choc sera intense pour ceux qui auront la chance de les découvrir. Pour les habitués, c’est un peu moins certain.

Sigur Rós en concert à Zurich, Samsung Hall, le mercredi 18 octobre.

 ?? (STEFAN HOEDERATH) ?? Sur scène, Georg Holm, Jon Por Birgisson et Orri Pall Dyrason mêlent cordes, synthés et animations vidéo. Ici, au Tempodrom de Berlin le 9 octobre dernier.
(STEFAN HOEDERATH) Sur scène, Georg Holm, Jon Por Birgisson et Orri Pall Dyrason mêlent cordes, synthés et animations vidéo. Ici, au Tempodrom de Berlin le 9 octobre dernier.

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