LA MAISON QUI PARLE À SES VOISINS
Une équipe de l’EPFL et trois écoles romandes participent cet automne au Solar Decathlon à Denver, aux Etats-Unis. Dans ce concours universitaire de construction de maisons intelligentes, le projet suisse détonne: plutôt que familial, il se veut plateforme de partage de savoirs durables à l’adresse d’un quartier
«Swiss precision team»: voilà le surnom donné par les jurés du Solar Decathlon à l’équipe suisse qui participe à ce concours international pour étudiants, organisé tous les deux ans aux Etats-Unis. Organisée par le Département américain de l’énergie, la compétition consiste à bâtir une petite maison solaire dans un endroit donné, cette année à Denver dans le Colorado. Et à participer à dix épreuves – d’où l’appellation «décathlon» – qui départagent les participants. Des défis aussi divers que la qualité de l’architecture, de l’innovation, de la gestion des eaux, de la communication.
Seule équipe étrangère aux côtés des étudiants de l ’ Université d’Utrecht aux Pays-Bas, le «Swiss team» s’est tout de suite fait remarquer. Sur onze candidats, il a été l’un des trois seuls à achever la construction de sa maison dans le temps imparti, soit neuf jours. En arrivant à 7h du matin pünktlich sur le chantier et en repartant à minuit tapant. Et ce, malgré la chaleur, suivie de la pluie, de la neige, du froid ou de la boue, la météo de cette ville perchée à 1600 mètres d’altitude étant ce qu’elle est: aussi caractérielle que la présidence actuelle du pays.
ANTI-TORNADES
L’équipe s’est aussi distinguée par la précision de l’assemblage de sa construction, de ses mesures (chaleur, consommation, eau), de ses réponses aux questions des jurés ou encore de l’étanchéité parfaite de son «NeighborHub», nom de cette maison pas comme les autres.
Tous les autres concurrents proposent des habitations familiales, plutôt bon marché, bien dans l’esprit de l’American way of life. Certes, depuis que le concours existe ( 2002), l ’enjeu solaire durable s’est élargi à d’autres considérations technologiques, sociales ou climatiques. Une équipe propose une maison résistante aux tornades, d’autres aux ouragans, aux tremblements de terre, à la gestion de l’eau en période de sécheresse. Certaines pensent aux babyboomers qui prennent de l’âge ou à l’urbanisation galopante de la région de San Francisco.
LE VIVRE-ENSEMBLE
Pas les Suisses. Ils sont arrivés sur place avec une idée différente: une maison de quartier. En partant du constat que le levier du changement durable est désormais davantage actionné par le collectif que par l’individuel. Cette transition est déjà à l’oeuvre dans la tendance du vivre-ensemble, des nouveaux quartiers verts, du partage des ressources, de la mobilité.
Des actions collectives susceptibles d’avoir une influence sur les responsables d’une section de territoire urbain, mais aussi rural et industriel. De quoi faciliter la collaboration avec les entreprises et forces publiques qui se plaignent de ne pas avoir assez de contacts directs avec leurs clients ou administrés et s’efforcent désormais de se rapprocher d’eux.
Encore faut-il des lieux de rencontre, d'informations, d'animations. Des plateformes de partage du s avoir environnemental, durable, technique. Voilà l'idée séminale du NeighborHub suisse, qui détonne dans le Solar Decathlon 2017, installé dans un terrain vague proche de l'aéroport de Denver, mais promis à devenir un jour une smart city qui produit plus d'énergie qu'elle n'en consomme.
UN COÛT SUISSE
La maison de quartier n'est pas le fruit d'une seule haute école, mais de quatre, toutes romandes. A commencer par l'EPFL, qui a mené le projet à terme, en particulier la Faculté de l'environnement naturel, architectural et construit (ENAC) dirigée par Marilyne Andersen. Mais aussi la Haute Ecole d'ingénierie et d'architecture de Fribourg, la Haute Ecole d'art et de design de Genève et l'Université de Fribourg. L'EPFL a fourni les deux tiers de la quarantaine de décathlètes suisses présents sur place, entourés d'une d e mi- d ou z a i n e d e re s p o nsables ayant l'expérience de ce type de projet. Dont Claude-Alain Jacot, un ancien des aventures Alinghi et Solar Impulse.
Le NeighborHub romand est le projet plus visité du concours. Il est aussi le plus grand en taille, en nombre d'étudiants, en budget (4,2 millions en provenance d'un partenariat privé-public) et coût à la vente éventuelle (900 000 francs). Aux Américains qui sourcillent devant le prix de vente «swiss» d'une telle construction, les étudiants répondent qu'une telle plateforme est destinée à être financée non par une famille mais par une collectivité (habitants, entreprises, pouvoirs publics). Et qu'elle est destinée à terme à réaliser des économies, ne serait-ce qu'énergétiques.
TOILETTES À VERS
Résultat de trois ans de travail entre les écoles, et de 250 étudiants au total, le NeighborHub est du type ingénieux. Tous les pavillons du Solar Decathlon ont disposé leurs panneaux solaires sur le toit. Le suisse a choisi de les mettre en façade, à la verticale, sur les faces sud, est et ouest du parallélépipède construit en bois. Un gage de bon rendement dans des conditions climatiques changeantes. Par exemple lorsqu'il neige, comme l'autre jour à Denver: plus besoin de déblayer le toit. Des panneaux thermiques, pour l'eau chaude, ainsi que des cellules à pigments photosensibles Grätzel, une technologie de l'EPFL, s'inscrivant aussi sur les façades.
Les parois sont aussi des portes qui s'ouvrent à volonté pour climatiser (chaud et froid) l'enveloppe extérieure de la construction. C'est une sorte de pergola pour l'accueil des visiteurs, l es ateliers de démonstration ou réparation de vélos, les cultures en aquaponie. Cette peau vivante, qui s'étend sur les quatre côtés, enrobe le coeur fermé de la construction, qui est chauffé et abrité.
L’APPORT DE LA HEAD
Ce core est modulable, accueillant aussi bien une salle à manger, une cuisine, un lieu pour dormir, une salle de bains et des toilettes sèches à vers augmentées. Entendez par là que des invertébrés disciplinés se chargent d'absorber les déjections pour produire un engrais qui sert aux plantes. «Certified by worms» (certifiés par des vers), annonce avec malice une inscription dans les toilettes.
La maison est en effet communicante. Non seulement grâce à son logiciel de gestion qui, via une tablette, prévient par exemple les occupants qu'il serait temps de faire une lessive vu qu'il a plu la veille (l'eau de pluie est récupérée par le toit et sert à la machine à laver). Elle communique aussi par sa signalétique conçue par l a HEAD, entre autres par un habile code couleur adapté aux fonctions