Ignazio Cassis en défenseur des armes
Le conseiller fédéral en devenir est membre de ProTell, un lobby des armes. Il apparaît difficile de concilier cette adhésion avec son futur rôle au sein du gouvernement
Neuf jours à peine avant son élection au Conseil fédéral, le Tessinois Ignazio Cassis est devenu membre de ProTell, lobby de «défense des citoyens portant des armes». Une décision qui interpelle à gauche comme à droite, surtout que le gouvernement vient de lancer la consultation sur une directive européenne qui concerne les armes, à laquelle le lobby s’oppose. Certains dénoncent un embarrassant conflit d’intérêts, pour d’autres, ce n’est pas l’adhésion à ProTell mais plutôt le moment choisi qui pose problème.
La presse alémanique le révélait la semaine dernière: Ignazio Cassis fait partie des membres de ProTell, lobby de «défense des citoyens portant des armes». Il aurait adhéré au groupe neuf jours à peine avant son élection. Sa décision interpelle à gauche comme à droite, alors que le Conseil fédéral a lancé fin septembre la consultation d’une solution d’application de la directive européenne sur les armes à laquelle le lobby s’oppose. Accusé d’être le candidat des assureurs pendant la campagne – il s’en est toujours défendu –, Ignazio Cassis sera-t-il le ministre des Affaires étrangères des défenseurs des armes?
Pour un droit libéral sur les armes
Société pour un droit libéral sur les armes, ProTell s’oppose à «toute restriction de la possession d’armes par les citoyennes et citoyens responsables». Par cet intermédiaire, le groupe défend «le maintien de la capacité de défense de notre pays». L’association a pour vice-président le conseiller national UDC Jean-Luc Addor (VS), récemment condamné dans son canton pour discrimination raciale.
Elaborée dans un contexte de recrudescence d’attentats terroristes, la directive européenne combattue par ProTell vise à mieux contrôler l’accès aux armes susceptibles de faire beaucoup de victimes. Elle proscrit notamment l’usage civil de fusils semi-automatiques dotés de chargeurs pouvant contenir plus de dix cartouches, dont les armes d’ordonnance suisses font partie. Confronté à une loi qui porte atteinte à la tradition de conserver son arme après le service militaire, le Conseil fédéral s’est engagé à faire valoir la spécificité suisse devant l’Union européenne. Une solution «pragmatique» a été formulée. Dans la version en consultation, les armes d’ordonnance peuvent être conservées après le service militaire, à condition «d’être membre d’une société de tir et tirer de manière régulière». Le Conseil fédéral avertit: «Si la Suisse ne reprenait pas ces dispositions, l’accord d’association à Schengen pourrait être dénoncé.»
Invité début octobre par l’Association pour une Suisse indépendante et neutre, Jean-Luc Addor livrait en ces mots sa vision de cette directive européenne: «C’est l’un des multiples bienfaits de Schengen, avec la libre circulation des criminels, des terroristes et des immigrés.» Le conseiller national dénonce une mesure «qui se trompe de cible» et «porte atteinte aux droits et aux libertés des honnêtes citoyens». Bien décidé à combattre cette loi, il annonce avoir constitué un groupe interparlementaire pour un droit libéral sur les armes. Et de préciser: «Dans ce groupe nous avons un conseiller fédéral, Ignazio Cassis.» Questionnée sur les us et coutumes en vigueur au gouvernement, la Chancellerie fédérale a indiqué que «les conseillers fédéraux peuvent être membres de sociétés mais doivent éviter les conflits d’intérêts». En outre, «ils ne sont tenus de se récuser que si un intérêt personnel existe». Le cas particulier n’a pas été commenté.
Vives réactions au Tessin
Dans son éditorial d’hier, La Regione n’épargne pas Ignazio Cassis. Rédacteur en chef du quotidien, Matteo Caratti lui reproche de «dangereusement dériver». Il condamne: «Il est évident qu’il a agi ainsi pour s’attirer les faveurs de la droite. Mais si la gauche et le centre avaient été au courant de cette affiliation, l’auraient-ils soutenu?» Le journaliste dénonce un embarrassant conflit d’intérêts et l’absence de transparence du futur ministre des Affaires étrangères.
La gauche transalpine se manifeste également. Président du Parti socialiste tessinois, Igor Righini confie ne pas être surpris: «Il a fait un pacte avec l’UDC pour recueillir les votes qui lui manquaient pour gagner son élection.» Et d’ajouter: «Il peut donner sa démission à ProTell, mais qu’est-ce que cela changera?» Il rappelle que le Parti socialiste s’était distancié de la solidarité tessinoise pour le candidat italophone avant même le scrutin du 20 septembre. Et enfonce le clou: «Nous aurions préféré un candidat d’une autre langue maternelle avec une sensibilité différente sur des questions importantes comme celle des armes à feu.»
A droite, le chef du groupe parlementaire de la Ligue des Tessinois, Daniele Caverzasio, voit les choses d’un autre oeil. «Pour nous, qu’Ignazio Cassis soit membre de ProTell n’est pas problématique en soi. Nous partageons un objectif avec cette association, à savoir s’opposer aux «eurobalivernes» destinées à désarmer les citoyens honnêtes, qui nous imposent des lois contraires à nos traditions et à notre volonté populaire.» Il reconnaît en revanche que le moment choisi par Ignazio Cassis pour adhérer à la société de défense des armes à feu pose problème: «Cela peut certainement être interprété comme une décision opportuniste pour racler quelques votes en plus au parlement.»
Président du PLR tessinois, le parti du nouveau conseiller fédéral, Bixio Caprara se limite à dire qu’il soutient la démarche du Conseil fédéral qui vise à analyser les associations dont fait partie Ignazio Cassis et leur compatibilité avec ses nouvelles fonctions.
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«Si la gauche et le centre avaient été au courant de cette affiliation, l’auraient-ils soutenu?»
MATTEO CARATTI, RÉDACTEUR EN CHEF DE «LA REGIONE»