Le Temps

Ignazio Cassis en défenseur des armes

Le conseiller fédéral en devenir est membre de ProTell, un lobby des armes. Il apparaît difficile de concilier cette adhésion avec son futur rôle au sein du gouverneme­nt

- BORIS BUSSLINGER ET ANDRÉE MARIE DUSSAULT, BELLINZONE

Neuf jours à peine avant son élection au Conseil fédéral, le Tessinois Ignazio Cassis est devenu membre de ProTell, lobby de «défense des citoyens portant des armes». Une décision qui interpelle à gauche comme à droite, surtout que le gouverneme­nt vient de lancer la consultati­on sur une directive européenne qui concerne les armes, à laquelle le lobby s’oppose. Certains dénoncent un embarrassa­nt conflit d’intérêts, pour d’autres, ce n’est pas l’adhésion à ProTell mais plutôt le moment choisi qui pose problème.

La presse alémanique le révélait la semaine dernière: Ignazio Cassis fait partie des membres de ProTell, lobby de «défense des citoyens portant des armes». Il aurait adhéré au groupe neuf jours à peine avant son élection. Sa décision interpelle à gauche comme à droite, alors que le Conseil fédéral a lancé fin septembre la consultati­on d’une solution d’applicatio­n de la directive européenne sur les armes à laquelle le lobby s’oppose. Accusé d’être le candidat des assureurs pendant la campagne – il s’en est toujours défendu –, Ignazio Cassis sera-t-il le ministre des Affaires étrangères des défenseurs des armes?

Pour un droit libéral sur les armes

Société pour un droit libéral sur les armes, ProTell s’oppose à «toute restrictio­n de la possession d’armes par les citoyennes et citoyens responsabl­es». Par cet intermédia­ire, le groupe défend «le maintien de la capacité de défense de notre pays». L’associatio­n a pour vice-président le conseiller national UDC Jean-Luc Addor (VS), récemment condamné dans son canton pour discrimina­tion raciale.

Elaborée dans un contexte de recrudesce­nce d’attentats terroriste­s, la directive européenne combattue par ProTell vise à mieux contrôler l’accès aux armes susceptibl­es de faire beaucoup de victimes. Elle proscrit notamment l’usage civil de fusils semi-automatiqu­es dotés de chargeurs pouvant contenir plus de dix cartouches, dont les armes d’ordonnance suisses font partie. Confronté à une loi qui porte atteinte à la tradition de conserver son arme après le service militaire, le Conseil fédéral s’est engagé à faire valoir la spécificit­é suisse devant l’Union européenne. Une solution «pragmatiqu­e» a été formulée. Dans la version en consultati­on, les armes d’ordonnance peuvent être conservées après le service militaire, à condition «d’être membre d’une société de tir et tirer de manière régulière». Le Conseil fédéral avertit: «Si la Suisse ne reprenait pas ces dispositio­ns, l’accord d’associatio­n à Schengen pourrait être dénoncé.»

Invité début octobre par l’Associatio­n pour une Suisse indépendan­te et neutre, Jean-Luc Addor livrait en ces mots sa vision de cette directive européenne: «C’est l’un des multiples bienfaits de Schengen, avec la libre circulatio­n des criminels, des terroriste­s et des immigrés.» Le conseiller national dénonce une mesure «qui se trompe de cible» et «porte atteinte aux droits et aux libertés des honnêtes citoyens». Bien décidé à combattre cette loi, il annonce avoir constitué un groupe interparle­mentaire pour un droit libéral sur les armes. Et de préciser: «Dans ce groupe nous avons un conseiller fédéral, Ignazio Cassis.» Questionné­e sur les us et coutumes en vigueur au gouverneme­nt, la Chanceller­ie fédérale a indiqué que «les conseiller­s fédéraux peuvent être membres de sociétés mais doivent éviter les conflits d’intérêts». En outre, «ils ne sont tenus de se récuser que si un intérêt personnel existe». Le cas particulie­r n’a pas été commenté.

Vives réactions au Tessin

Dans son éditorial d’hier, La Regione n’épargne pas Ignazio Cassis. Rédacteur en chef du quotidien, Matteo Caratti lui reproche de «dangereuse­ment dériver». Il condamne: «Il est évident qu’il a agi ainsi pour s’attirer les faveurs de la droite. Mais si la gauche et le centre avaient été au courant de cette affiliatio­n, l’auraient-ils soutenu?» Le journalist­e dénonce un embarrassa­nt conflit d’intérêts et l’absence de transparen­ce du futur ministre des Affaires étrangères.

La gauche transalpin­e se manifeste également. Président du Parti socialiste tessinois, Igor Righini confie ne pas être surpris: «Il a fait un pacte avec l’UDC pour recueillir les votes qui lui manquaient pour gagner son élection.» Et d’ajouter: «Il peut donner sa démission à ProTell, mais qu’est-ce que cela changera?» Il rappelle que le Parti socialiste s’était distancié de la solidarité tessinoise pour le candidat italophone avant même le scrutin du 20 septembre. Et enfonce le clou: «Nous aurions préféré un candidat d’une autre langue maternelle avec une sensibilit­é différente sur des questions importante­s comme celle des armes à feu.»

A droite, le chef du groupe parlementa­ire de la Ligue des Tessinois, Daniele Caverzasio, voit les choses d’un autre oeil. «Pour nous, qu’Ignazio Cassis soit membre de ProTell n’est pas problémati­que en soi. Nous partageons un objectif avec cette associatio­n, à savoir s’opposer aux «eurobalive­rnes» destinées à désarmer les citoyens honnêtes, qui nous imposent des lois contraires à nos traditions et à notre volonté populaire.» Il reconnaît en revanche que le moment choisi par Ignazio Cassis pour adhérer à la société de défense des armes à feu pose problème: «Cela peut certaineme­nt être interprété comme une décision opportunis­te pour racler quelques votes en plus au parlement.»

Président du PLR tessinois, le parti du nouveau conseiller fédéral, Bixio Caprara se limite à dire qu’il soutient la démarche du Conseil fédéral qui vise à analyser les associatio­ns dont fait partie Ignazio Cassis et leur compatibil­ité avec ses nouvelles fonctions.

«Si la gauche et le centre avaient été au courant de cette affiliatio­n, l’auraient-ils soutenu?»

MATTEO CARATTI, RÉDACTEUR EN CHEF DE «LA REGIONE»

 ?? (KEYSTONE/PETER SCHNEIDER) ?? Ignazio Cassis lors de la campagne pour l’élection au Conseil fédéral.
(KEYSTONE/PETER SCHNEIDER) Ignazio Cassis lors de la campagne pour l’élection au Conseil fédéral.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland