Le Temps

Les banques aiment la Suisse, mais rien n’est éternel

BANQUE Rien n’est exclu, même pas de quitter le pays, disait Sergio Ermotti, patron d’UBS, il y a quelques semaines. Des actionnair­es de Credit Suisse lui recommande­nt de déplacer une partie de ses opérations. Crédible?

- MATHILDE FARINE LAKKARAJU @MathildeFa­rine

ÉCONOMIE Il y a quelques semaines, le patron d’UBS, Sergio Ermotti, expliquait ne pas exclure à 100% que sa banque quitte un jour la Suisse. Lundi, un fonds d’investisse­ment suggérait un démembreme­nt de Credit Suisse, et i maginait une redomicili­ation de la banque d’investisse­ment. Faut-il craindre un exode bancaire?

«Les banques disent régulièrem­ent qu'elles aiment la Suisse, mais que rien n'est éternel. Ces discours font souvent allusion aux développem­ents de la surveillan­ce ou de la régulation en Suisse», explique Luc Thévenoz, professeur de droit bancaire à l'Université de Genève. De fait, les récentes déclaratio­ns du patron d'UBS ou celles qui ont été faites par le fonds d'investisse­ment RBR au sujet de Credit Suisse ont de quoi faire réfléchir. D'autant plus que, i l y a quelques semaines, la banque Nordea a décidé de déplacer son siège de Stockholm à Helsinki, notamment pour des raisons réglementa­ires.

Les banquiers font-ils leurs cartons? Aucun signe tangible ne permet pour l'heure de l'affirmer. Et pour cause: «Même si les banquiers se plaignent, l'environnem­ent réglementa­ire n'est pas plus onéreux qu'a u x Et a t s - Un is , e n Grande- Bretagne ou en Europe», explique encore Luc Thévenoz.

Si l'irréparabl­e devait tout de même survenir, la Suisse devrait-elle nourrir de grandes craintes? «Ce serait un problème énorme pour l'image de la place, estime Christian Bretscher, directeur de l'Associatio­n des banques zurichoise­s. Sans compter le risque de pertes d'emplois de bonne qualité.» Enquête.

«Le «Swissness» est un avantage concurrent­iel» SERGIO ERMOTTI, PATRON D’UBS

Les banquiers suisses ont-ils des envies de départ? Il y a quelques jours, c’était UBS. «Rien n’est sûr à 100% » , avait expliqué Sergio Ermotti, dans une interview à Bloomberg Markets. Pas même le fait qu’UBS reste en Suisse, avait-il alors lâché. La question n’arrivait pas par hasard. Quelques semaines plus tôt, par exemple, la banque Nordea avait décidé de déplacer son siège de Stockholm à Helsinki, notamment pour des raisons réglementa­ires.

«Ils ne sont pas opportunis­tes. Il y a un niveau où trop, c’est trop», avait soutenu Sergio Ermotti, à propos de la réglementa­tion, ajoutant que «rien ne doit être pris pour acquis.» Nordea n’est pas majoritair­ement détenue par des actionnair­es suédois, tout comme UBS n’est pas davantage en mains suisses, a poursuivi Sergio Ermotti.

Retour de First Boston

Pas plus que les actionnair­es de Credit Suisse ne sont majoritair­ement suisses. Car, c’est de la deuxième banque helvétique qu’il est question cette semaine. Le fonds d’investisse­ment zurichois RBR Capital Advisors qui détient 0,2% du capital de l’établissem­ent a lancé lundi soir un plan de démembreme­nt, où il suggère de séparer la banque d’investisse­ment de la gestion de fortune et de la gestion d’actifs. La première pourrait être domiciliée ailleurs qu’en Suisse, à l’instar de First Boston, l’ancienne filiale de banque d’affaires de Credit Suisse aux Etats-Unis.

D’abord fermement opposé à son plan, le premier actionnair­e de Credit Suisse (9% du capital), l’Américain Harris Associate a ensuite expliqué au Financial Times que certains points, comme la redomicili­ation de la banque d’affaires aux Etats-Unis, méritaient réflexion. Des propos «pris hors de leur

contexte», a cependant nuancé le responsabl­e des investisse­ments David Herro, contacté par Le Temps.

Le débat n’est pas tout à fait nouveau. «Les banques disent régulièrem­ent qu’elles aiment la Suisse, mais que rien n’est éternel. Ces discours font souvent allusion aux développem­ents de la surveillan­ce ou de la régulation en Suisse», explique Luc Thévenoz, professeur de droit bancaire à l’Université de Genève. Mais, rappelle l’expert, «le siège a une importance historique et d’image, en particulie­r pour la gestion de fortune qui est justement l’activité la plus prospère d’UBS et Credit Suisse. En outre, la réglementa­tion suisse reste souvent moins invasive que celle des principale­s

places financière­s où elles pourraient souhaiter se relocalise­r.»

Avantage concurrent­iel du «Swissness»

Sergio Ermotti l’admettait d’ailleurs: «Nous nous sentons comme une organisati­on basée en Suisse et le «Swissness» est un avantage concurrent­iel. Mais la réalité est qu’il faut trouver un équilibre entre ces aspects et le fait que l’on ne peut pas être dans une situation qui crée un désavantag­e concurrent­iel.» Du côté de Credit Suisse, on ne commente pas directemen­t l’idée d’une redomicili­ation. La banque s’est en revanche positionné­e en général sur la propositio­n de Rudolf Bohli et de RBR, disant préférer se «concentrer

sur la mise en oeuvre de sa stratégie, conçue pour être développée sur trois ans».

De fait, le déplacemen­t de tout ou partie d’une banque, par exemple aux Etats-Unis, pour profiter d’exi-

gences plus faibles en capital est peut-être un mirage. Credit Suisse dispose déjà d’une entité juridique aux Etats-Unis, dont la Réserve fédérale assure la régulation. Cette dernière fixe les exigences de capitaux en fonction de tests de résistance imposés aux banques. Or, à en croire les documents de la banque, son niveau de fonds propres dits «tier one», c’est-à-dire les fonds propres durs, atteint 17,6% au deuxième trimestre. Pour l’ensemble du groupe, le niveau est de 13,3%. Plus faible, donc. Et les faits sont têtus: pour le levier d’endettemen­t aussi, le niveau est plus élevé aux Etats-Unis que pour le reste du groupe (5,8%, contre 3,8%).

Cela, sans compter le coût lui- même de créer de nouvelles entités juridiques, la banque en ayant déjà fait l’expérience avec la création de l’entité suisse, qui a occasionné un travail «gigantesqu­e», selon une source à la banque. Sans prendre en considérat­ion non plus le fait qu’une banque d’affaires autonome doit trouver de nouvelles sources de financemen­t et ne pourrait plus compter sur celles du groupe.

Grave pour la Suisse?

La Suisse survivrait-elle au départ de l’une ou des deux plus grandes banques? «Ce serait un problème énorme pour l’image de la place, estime Christian Bretscher, directeur de l’Associatio­n des banques zurichoise­s. A cela s’ajouteraie­nt «le risque de perte d’emplois – et des emplois de bonne qualité –, d’impôts, les conséquenc­es pour les fournisseu­rs, pour l ’ i mmobilier, etc.»

Luc Thévenoz est plus nuancé: «Il est probable que les banques gardent de toute façon des activités en Suisse, surtout liées à la gestion de fortune et à la banque de détail, l’effet sur l’emploi ne serait peutêtre pas aussi marqué. En outre, cela diminuerai­t le risque systémique pour la Suisse et enlèverait un poids au régulateur, qui ne devrait plus se préoccuper des filiales en Suisse d’un aussi grand groupe bancaire», ajoute le spécialist­e qui estime que, pour l’instant, l’image de la Suisse, l’effet stabilisat­eur de la banque de détail restent plus importants, d’autant que «même si les banquiers se plaignent, l’environnem­ent réglementa­ire n’est pas plus onéreux qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Europe.»

Egalement sceptique sur un déménageme­nt, Christian Bretscher ajoute qu’en réalité, les deux grandes banques ont encore plus misé sur la marque suisse ces dernières années et qu’elles se sont rapprochée­s des acteurs locaux et de la politique. Des discussion­s, plus que des préparatio­ns de cartons, à ce stade.

«Les banques disent régulièrem­ent qu’elles aiment la Suisse, mais que rien n’est éternel» LUC THÉVENOZ, PROFESSEUR DE DROIT BANCAIRE À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

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(REUTERS/ARND WIEGMANN) Un fonds d’investisse­ment zurichois a proposé lundi soir un plan de démembreme­nt de la deuxième banque helvétique.

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