Le Temps

L’autocar dans le sillage du train

TRANSPORTS Le Conseil fédéral fait sauter un verrou. Des bus nationaux longue distance viendront concurrenc­er les trains. Le gouverneme­nt réfléchit aussi à une libéralisa­tion partielle du trafic ferroviair­e internatio­nal. Les syndicats sont inquiets

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

TRANSPORTS Genève – Zurich en car au lieu de prendre le train? Le Conseil fédéral veut autoriser des bus longue distance en Suisse. Les nouvelles lignes ne devraient pas «concurrenc­er de manière essentiell­e» les offres existantes. Mais le trafic ferroviair­e grandes lignes pourrait s'en ressentir, craignent les syndicats. Le gouverneme­nt réfléchit également à libéralise­r partiellem­ent le marché des transports frontalier­s. Des ouvertures qui mèneront sans doute à l'apparition de nouveaux acteurs, suisses ou étrangers.

Choisir entre le train ou le bus pour relier Genève à Zurich. Cette possibilit­é sera sans doute offerte dans un avenir proche aux voyageurs. Le Conseil fédéral a publié jeudi son rapport sur le développem­ent de l’autocar et du marché du transport ferroviair­e, en réponse à différente­s interventi­ons parlementa­ires. Il confirme sa dispositio­n à mobiliser davantage la concurrenc­e entre le train et le bus au niveau national.

Face à l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché de l’autocar, il va autoriser des bus longue distance en Suisse. «Le Conseil fédéral est prêt à concéder une ouverture dans l e cadre du droit existant», relève Peter Füglistale­r, le directeur de l’Office fédéral des transports (OFT). Autrement dit, les nouvelles lignes ne devront pas «concurrenc­er de manière essentiell­e» les offres actuelles.

Mêmes règles pour tous les acteurs

Les exploitant­s d’autocars nationaux seront par ailleurs soumis aux mêmes règles que les autres acteurs du marché intérieur: ils devront publier un horaire, s’y tenir, transporte­r les voyageurs qui se présentent, accepter les abonnement­s demi-tarif et généraux et respecter les exigences sociales. Afin de limiter le risque que des voyageurs restent sur le perron, «une réservatio­n préalable sera sans doute nécessaire», indique Pierre-André Meyrat, vice-directeur de l’OFT.

Cette ouverture du Conseil fédéral était attendue. Comme nous l’évoquions en 2016, une dizaine de concession­s de bus nationaux ont déjà été distribuée­s. Cela dit, ces autocars relient essentiell­ement les aéroports aux régions touristiqu­es, en particulie­r les stations de ski. La nouvelle donne ouvrira l e jeu aussi entre l es grandes villes du pays.

En stimulant la concurrenc­e, l’espoir est que les prix baissent. Plusieurs acteurs se montreront sans doute intéressés par ce nou-

veau marché. Dans un entretien à la Handelszei­tung en juillet 2016, le CEO de la start-up allemande FlixBus, André Schwämmlei­n, évoquait déjà réfléchir à un tarif «dès 10 francs» pour un Zurich – Berne par exemple. L’entreprise Domo Reisen, qui a déposé une demande de concession pour des liaisons par autocar une à deux fois par jour sur les lignes SaintGall – Zurich – Genève-Aéroport, Bâle – Berne – Brigue et Bâle – Zurich – Chiasso, recevra une réponse de la Confédérat­ion d’ici au changement d’horaire de décembre prochain. La nouvelle donne devrait leur être favorable.

Si certains consommate­urs se réjouissen­t, les syndicats s’inquiètent. «Ces nouvelles offres

nationales de bus constituen­t de la concurrenc­e déloyale pour le rail, dénonce Vivian Bologna, responsabl­e de la communicat­ion du Syndicat du personnel des transports. Certes c’est une bonne chose qu’elles ne soient pas soustraite­s au régime de concession­s fédérales. Mais à quelles condit i ons pour l e personnel ces concession­s seront-elles octroyées? L’OFT ne le dit pas. Cela reste très instable.»

Pas de concurrenc­e «essentiell­e»

Les acteurs installés sur le marché, notamment les CFF, ont aussi déjà exprimé leurs craintes. L’Office fédéral des transports y ré pond en c onvoquant des

chiffres. «Il faut rappeler que Domo Reisen pourrait transporte­r 560 passagers par jour, alors que les CFF en transporte­nt quot i diennement 1 , 25 million! » explique Pierre-André Meyrat. Autrement dit, la concurrenc­e ne serait que marginale.

En matière de trafic internatio­nal par autocar, le Conseil fédéral l aisse en revanche l a donne inchangée ou presque. L’interdicti­on de cabotage prévue par l’accord sur les transports terrestres entre la Suisse et l’Union européenne est maintenue. C’est-àdire qu’un bus qui relie Berlin à Barcelone n’a pas le droit de transporte­r un passager uniquement de Bâle à Genève par exemple. Le Conseil fédéral voit en revanche un besoin d’améliorati­on des infrastruc­tures utilisées par ces autocars internatio­naux, gares routières et autres arrêts. Il veut aussi veiller à lutter contre le du mping sa l a r i a l da n s c e domaine.

Trafic régional «sous pression»

Il n’y aura donc pas de libéralisa­tion totale du transport par autocar en Suisse. En revanche, dans le domaine ferroviair­e, le Conseil fédéral examine la possibilit­é de libéralise­r partiellem­ent le marché des transports frontalier­s. Il faut aujourd’hui qu’un acteur suisse et une entreprise étrangère coll aborent pour exploiter une ligne ferroviair­e internatio­nale. Le gouverneme­nt pourrait là aussi faire sauter le verrou. Un acteur étranger pourrait par exemple développer une offre sur la ligne Berne – Paris ou Zurich–Stuttgart, cite en exemple Peter Füglistale­r. Pas de bouleverse­ments à attendre toutefois selon l’OFT, qui parle d’un potentiel «réduit».

Dans un tel cas de figure, l’interdicti­on de cabotage serait levée. La Deutsche Bahn, exploitant la ligne Berne – Stuttgart, pourrait par exemple proposer à ses passagers des trajets entre Berne et Zurich. A l’inverse, les CFF pourraient faire de même en Allemagne. Le Conseil fédéral décidera seul en 2018, après une consultati­on des milieux concer-

«Il faut rappeler que Domo Reisen pourrait transporte­r 560 passagers par jour, alors que les CFF en transporte­nt quotidienn­ement 1,25 million!» PIERRE-ANDRÉ MEYRAT, VICE-DIRECTEUR DE L’OFT

nés, d’actionner ce levier ou d’y renoncer. Il n’a en effet pas besoin d’en référer au parlement. Il lui suffira de signifier à Bruxelles sa dispositio­n à reprendre une partie de la réglementa­tion européenne non appliquée jusqu’à présent.

Le Syndicat du personnel des transports parle d’un changement de paradigme général négatif: «Cela fait un moment que l’on sent le vent de la libéralisa­tion se lever. C’est un bel autogoal, estime Vivian Bologna. Si les CFF perdent leur avantage sur les grandes lignes qui sont les plus rentables, par ricochet, le trafic régional sera mis sous pression.»

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(FLORIAN GAERTNER/PHOTOTHEK) Un car de l’entreprise allemande FlixBus à Berlin. La start-up ne cache pas son intérêt pour le marché suisse.

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