Les robots, ça n’ose rien, c’est même à ça qu’on les reconnaît
Les robots seront-ils assez intelligents pour ne pas l’être trop? Voilà l’étrange question qui embrume mon cerveau malade en cette matinée ensoleillée. Baudelaire revendiquait, pour l’humanité, le droit de se contredire et celui de s’en aller. Ladite humanité ayant vocation à céder sa place à l’intelligence artificielle, il est grand temps de se demander si les robots seront un jour capables d’inconstance ou d’inconséquence, et de claquer la porte si cela leur chante.
A priori non, serais-je tenté de me répondre. Si la Silicon Valley et ses gourous se donnent tant de mal pour remplacer les chauffeurs de bus, les ouvriers, les comptables, les banquiers, les journalistes, les traducteurs, les instituteurs, les psychiatres, les infirmières, les contribuables, les mamans et les amants, ce n’est pas pour confier le travail à des légions de crétins artificiels. J’imagine assez mal un chercheur de l’EPFL décrocher un énorme crédit «deep learning» pour enseigner à un robot le charme désuet de l’évasion fiscale. A priori toujours, les robots sont parfaits et parfaitement ennuyeux, c’est même à cela qu’on les reconnaît.
Et pourtant. Nos amis les robots ont encore du lait derrière les oreilles que, déjà, ils excellent dans l’art de faire la guerre. Sur les champs de bataille, ils se débrouillent comme des grands pour flinguer leurs congénères par rafales de vingt, et leurs concepteurs avec. Voilà qui devrait nous fixer sur leur balourdise potentielle. A l’heure à laquelle j’écris ces lignes, les robots dansent toujours le tango comme des enclumes, mais sont déjà, et de très loin, les meilleurs soldats du monde. En toute bonne logique, ils ne tarderont pas à conduire bourrés, à faire des blagues racistes ou à remporter les élections présidentielles américaines. Le lendemain, quand ils se réveilleront avec la gueule de bois, certains seront assaillis de remords, d’autres pas. Certains deviendront footballeurs, d’autres poètes. Certains seront maudits, d’autres seront des héros. Il y aura même des traîtres, des couards et des menteurs. Bref, s’ils creusent ce sillon et puisqu’ils sont immortels, ils finiront bien par nous battre à plate couture et sur toute la ligne.
«Je ne pourrais croire qu’en un Dieu qui saurait danser», disait Nietzsche (la petite citation de Nietzsche en fin de chronique: voilà une fatuité encore hors de portée des robots). Prépare-toi, Friedrich:
Il arrive et Il fait bip bip.