Le Temps

Les taux resteront négatifs encore au moins cinq ans

- EMMANUEL GARESSUS, BÂLE @garessus

DÉBAT Les banques centrales n’ont plus de marge de manoeuvre, selon le professeur Tobias Straumann, invité à une table ronde organisée par le BAK. Il ajoute que le modèle de croissance suisse n’est pas durable et que l’heure reste à la répression financière

L’économie mondiale a échappé à la dépression grâce à l’action des banques centrales, mais l’endettemen­t s’est fortement accru. La plus forte progressio­n de la dette vient de Chine. «Le crédit est passé de 120% du PIB à 230% du PIB. «C’est le plus grand programme de relance conjonctur­elle de l’histoire», estime Tobias Straumann, professeur d’histoire économique à l’Université de Zurich, lors d’une table ronde organisée par l’institut BAK, jeudi à Bâle. La tendance est toutefois mondiale. «Les Etats-Unis s’en sortent mieux, mais c’est un borgne au pays des aveugles», juge-t-il. Dans ce contexte, les banques centrales n’ont plus de marge de manoeuvre, selon l’historien.

«Les taux d’intérêt négatifs, les contrôles, peut-être la fin du cash et d’autres mesures de répression financière [lesquelles pénalisent l’épargne des ménages, ndlr], vont persister au moins cinq ans», prévoit Tobias Straumann. Cette opinion s’appuie sur l’endettemen­t global et la dépression qui, selon l’économiste, accompagne­ra très longtemps les pays périphériq­ues de la zone euro. Au sein des quelque 150 participan­ts, les deux tiers pensent que les taux seront de nouveau positifs plus tard qu’en 2019 et un tiers en 2019.

La dépression durable du sud de l’Europe

«Tant que l’Europe méridional­e ne se reprendra pas, la Banque centrale européenne ne pourra pas normaliser sa politique monétaire. Or la BNS doit attendre que la BCE agisse avant de procéder elle-même à une normalisat­ion», renchérit Aleksander Berentsen, professeur d’économie à l’Université de Bâle et auteur d’un récent ouvrage sur les cryptomonn­aies. Les pays méridionau­x souffrent d’une forte hausse du chômage de longue durée. Ils ne peuvent sortir de cette spirale négative en quelques trimestres, selon Tobias Straumann.

«Les propositio­ns françaises de mutualisat­ion de la dette sont très éloignées de la réalité économique», juge l’historien zurichois.

«Les chiffres montrent que l’industrie des pays du sud de la zone euro n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2007», indique Michael Grass, directeur du BAK. Sa valeur actuelle est en Italie à 88% de celui d’avant la crise, contre 114% en Suisse. «L’économie suisse n’a pas connu de crise», en déduit Tobias Straumann.

En 2018, les taux à court terme suisses resteront toujours négatifs, confirme le BAK, mais l’institut prévoit une hausse du rendement des obligation­s de la Confédérat­ion à dix ans à 0,3%.

La Suisse a certes mieux traversé la décennie que la zone euro, mais uniquement en raison de l’immigratio­n et de ses effets sur la consommati­on, ainsi que de la hausse de l’emploi dans le secteur public. La Suisse a ajouté 360000 emplois en dix ans, dont 190000 dans le secteur public. Cette hausse contraste avec une perte de 25000 emplois dans l’industrie. Cette dernière a fortement accru sa productivi­té (+15%), alors que celle-ci baissait de 4% dans le secteur public. «Ce n’est pas un modèle durable parce qu’il se traduit par une hausse de la dette publique», observe Tobias Straumann. Cet avis n’est pas partagé par Aleksander Berentsen qui pense lui que le taux d’endettemen­t est trop bas en Suisse.

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