SCÈNE LA RIBOT OU LE BONHEUR DE L’ESTOCADE
«C’est juste un petit truc», s’excuse La Ribot, après son spectacle, dans le foyer de la Salle des Eaux-Vives à Genève. La performeuse et danseuse d’origine espagnole évoque son Distinguished Hits et on ne doute pas qu’elle est sincère. Mais elle a tort. Les dix pièces brèves qu’e llee nchaîne dans une arène blanche, cernée par unecentainede spectateurs estomaqués, bouleversés pour certains, amoureux pour d’autres, composent un chapelet formidable. Alors, permettez cette incise: «Chère Maria Ribot, votre spectacle est une grande chose.»
L’oeillade qui tue
Voyez comme on s’amuse. Dans l’air, une sonate de Beethoven, impatiente et enjouée. C’est sur ce piano que La Ribot déboule, perchée sur des talons de cinéma. Elle vous fixe une fraction de seconde, c’est l’oeillade qui tue, la marque des grands burlesques, Buster Keaton, Laurel et Hardy. Mais voici qu’elle se déboutonne. Adieu, manteau farceur. Sous le paletot, un pull émeraude. Elle s’en libère pour se découvrir, surprise, en robe. Beethoven exulte au clavier et La Ribot se déplume, jusqu’à ce soutien-gorge voltigeur qu’elle envoie promener d’une main de picador.
Une baigneuse en soute
Socorro! Gloria!, tel est le titre de cet entrefilet poétique. Bon, reprenez votre souffle et contemplez le plateau: à portée d’orteil, une perruque de médusée; plus loin, une corde de pendu; plus loin encore, un drap. Ce sont les attributs des métamorphoses à venir. A l’instant, La Ribot, anguleuse et nue comme une baigneuse de Picasso, se saisit de la corde. Elle se ficelle pour se transformer en paquet de formes. Une étiquette encore et elle est prête pour la soute, cap sur Londres – cette ville où l’artiste a vécu et créé.
Un surréalisme libérateur
Ecoutez encore ce moteur qui ronronne, cette poulie qui travaille. La Ribot a délaissé le strass pour se glisser sous une étole de morgue, gisante comme la naïade à marée basse. Elle respire encore pourtant, dépossédée de ses pouvoirs, à l’agonie. Ces saillies cruelles, on a déjà pu les savourer ces vingt dernières années. Elles appartiennent à un ensemble, une série de «pièces distinguées» commencée au début des années 1990.
Si elles sont si précieuses, ce n’est pas seulement parce que leur mécanique loufoque est réglée à la morsure près. C’est surtout parce qu’elles frappent au coeur de nos aliénations, cette violence masquée ou pas qui réduit un corps de femme à un gibier. Maria Ribot a cette élégance: elle ne discourt pas, elle allégorise. Ce moment par exemple où elle rabat, en possédée, le placet d’une chaise pliable contre son pubis, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Autour du cou, une pancarte: «A vendre». La Ribot est de la famille des surréalistes, celle qui prônait le cadavre exquis pour échapper à la camisole de force de nos biotopes trop bien ordonnés.