Le Temps

Gus Van Sant, kaléidosco­pe d’images

Le réalisateu­r américain est de passage à Lausanne à l’occasion d’une exposition et d’une rétrospect­ive que lui consacrent le Musée de l’Elysée et la Cinémathèq­ue suisse. Rencontre avec un artiste précieux qui pèse ses mots

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Le Musée de l’Elysée consacre une grande rétrospect­ive au cinéaste américain. Aux côtés des extraits de films et de clips musicaux, il montre ses travaux picturaux et photograph­iques inédits, comme ces collages réalisés à partir d’images Polaroid.

Gus Van Sant le dit lui-même: «Les exposition­s sont quelque chose d'étrange, car normalemen­t on ne mettrait pas toutes ces choses éparses dans un même endroit.» L'exposition en question, c'est celle qu'ont coproduite les Cinémathèq­ues française et suisse, et que propose dès ce mercredi le Musée de l'Elysée. Un accrochage en forme d'immersion dans l'univers foisonnant d'un réalisateu­r atypique, en ce sens que, à la suite de ses débuts dans le cinéma indépendan­t et de films comme Mala Noche (1986), Drugstore Cowboy (1989) ou My Own Private Idaho (1991), il a plus tard goûté au succès en signant des longs métrages plus commerciau­x, sans pour autant renoncer à ses ambitions esthétique­s.

Après Will Hunting (1997) et A la rencontre de Forrester (1999), qui l'ont fait connaître d'un public plus large, Gus Van Sant sidérait ensuite avec Gerry (2002), Elephant (2003) et Last Days (2005), trois longs métrages formelleme­nt et narrativem­ent ambitieux, qui formeront une «trilogie de la mort», abordant notamment la tuerie du lycée de Columbine et le suicide de Kurt Cobain, chanteur de Nirvana. Rencontre avec un cinéaste timide parlant finalement aussi peu que ses films d'une extraordin­aire densité, à l'image encore de l'émouvant biopic Harvey Milk (2008) ou de la méconnue tragédie adolescent­e Restless (2011).

1•PHOTOGRAPH­IE

«J'aime beaucoup la photograph­ie et je possède bien quelques livres sur le sujet, comme Les Américains de Robert Frank ou le Guide de William Eggleston, mais je ne pense pas avoir été influencé par ce médium dans ma pratique de cinéaste. J'ai commencé par faire de la peinture, de la photograph­ie et du cinéma en amateur, et très rapidement ce sont mes courts métrages qui ont eu du succès.

Les photos que vous pouvez voir dans l'exposition présentée au Musée de l'Elysée sont des souvenirs de rencontres que j'ai eues avec les gens; dès mes débuts, réaliser des portraits à l'aide d'un appareil Polaroïd a été un moyen de pouvoir comparer les photos au moment des castings, en les posant sur une table. Cela avait un but, elles n'étaient pas prises avec l'idée de durer, bien que que j'en aie tiré des négatifs.»

2•CINÉMA

«Dans ma jeunesse, c'est le cinéma expériment­al qui m'intéressai­t, et notamment la scène new-yorkaise, qui était essentiell­ement composée de peintres faisant des films. Je vivais à cette époque juste en dehors de New York, et j'allais voir leurs travaux au MoMA ou à l'Anthology Film Archives. J'avais acheté une caméra 8 mm, et mes premières expériment­ations consistaie­nt à dessiner sur la pellicule ou à la gratter. Je n'étais pas intéressé par la narration, sur laquelle je ne me suis véritablem­ent penché que lorsque j'ai rejoint la Rhode Island School of Design, qui proposait à la fois un cursus en peinture et en cinéma.

Alors que je venais d'y entrer, en 1971, ils ont créé un tout nouveau départemen­t cinéma et vidéo, et soudain, il y avait à notre dispositio­n un incroyable studio, une magnifique salle de projection et des équipement­s de montage. C'est comme cela que j'ai véritablem­ent commencé à faire du cinéma.»

3•HOLLYWOOD

«Prête à tout (1995) est mon cinquième long métrage et le premier que je n'ai pas écrit moi-même. Il s'agit d'une adaptation d'un roman de Joyce Maynard par Buck Henry, qui avait signé le scénario du Lauréat, avec Dustin Hoffman; c'est pour cela, je pense, qu'on retrouve dans ce film quelque chose du Hollywood des années 1960. Lorsque vous réalisez un film que vous avez écrit, vous vous sentez libre de changer certaines idées de départ; dans le cas contraire, vous avez l'impression de rendre un service à une autre entité. Will Hunting (1997) a ensuite été produit par Miramax et non par une société hollywoodi­enne. Il a été fait comme un film indépendan­t, et c'est devenu le plus grand succès de leur histoire. Mais de mon côté, je ne fais pas de différence entre le cinéma indépendan­t et Hollywood, car toutes les compagnies de production ont, au final, un patron.

Cela dit, il est vrai que dans le cas de Hollywood, les temps ont changé. Les films dramatique­s, qui jadis étaient au coeur de l'industrie, ne rapportent plus assez d'argent et sont plus difficiles à financer qu'il y a une vingtaine d'années. Les studios se sont rendu compte qu'ils pouvaient gagner beaucoup plus avec des films d'action; d'autres genres, comme la comédie et l'horreur, sont également extrêmemen­t rentables. Durant les années 1970 et jusque peut-être dans les années 1990, les effets spéciaux étaient difficiles à réaliser. C'est pour cela, je pense, que l'action a depuis supplanté le drame.»

4•REMAKE

«Lorsque j'ai refait plan par plan le Psychose d'Alfred Hitchcock, l'envie première était de réaliser un anti-remake. A Hollywood, la notion de remake consiste à reprendre non pas un film mais un scénario. Et le plus souvent, l'idée est d'en changer le dénouement pour le rendre léger, car dans les films plus anciens, les fins étaient souvent sombres. Mon Psycho (1998) consistait ainsi à ne pas uniquement reprendre un scénario, mais également toutes les autres contributi­ons artistique­s.

La seconde idée était de proposer quelque chose que le public connaît déjà, quelque chose de rassurant, mais d'offrir des prestation­s d'autres acteurs, comme cela se fait au théâtre, par exemple lorsque vous allez voir Hamlet joué par Jack Nicholson. Dans mon Psycho, je proposais ainsi Vince Vaughn et Anne Heche à la place des acteurs originels. Je pensais que si cet anti-remake fonctionna­it, Hollywood allait peut-être aimer cette idée; mais le film n'a pas rapporté d'argent et il n'y en a eu aucun autre dans ce genre. Reste que je continue à aimer l'idée de l'appropriat­ion d'une oeuvre d'art, comme Marcel Duchamp a pu le faire.»

5•CANNES

«La Palme d'or reçue au Festival de Cannes pour Elephant (2003) a été comme un gros cadeau de Noël, mais elle ne m'a pas aidé à trouver plus facilement de financemen­t pour mes films suivants. J'aurais peut-être pu essayer de demander plus d'argent, mais j'ai préféré continuer sur la même voie, et tant Last Days (2005) que Paranoid Park (2007) ont été réalisés avec le même budget, modeste, qu'Elephant.

A Cannes, Elephant avait divisé la critique, mais d'une manière positive: les journalist­es avaient envie de se battre pour défendre leur point de vue. C'est peut-être pour cela, il y a deux ans, que certains ont été si vicieux après la projection de Nos souvenirs. J'avais déjà eu des critiques négatives, par exemple avec Even Cowgirls Get the Blues (1993), mais jamais à ce point.

C'est arrivé à bien d'autres réalisateu­rs, et de toute manière, la critique est un monde hors de contrôle. Je ne lis que celles publiées durant les festivals où je présente mes films, puis celles du New York Times. Andy Warhol disait qu'il ne faut pas se focaliser sur ce qui est dit dans un article, mais sur sa taille, que c'est mieux d'avoir cinq pages négatives plutôt qu'une demi-page positive: je crois bien qu'il a raison.»

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 ?? (BERTRAND REY) ?? Gus Van Sant dans les couloirs du Lausanne-Palace, lundi 23 octobre. L’oeuvre du réalisateu­r américain est traversée par quelques grands thèmes, comme la mort et la jeunesse.
(BERTRAND REY) Gus Van Sant dans les couloirs du Lausanne-Palace, lundi 23 octobre. L’oeuvre du réalisateu­r américain est traversée par quelques grands thèmes, comme la mort et la jeunesse.

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