Le Temps

Le glyphosate divise l’Europe

L’Union européenne doit se décider aujourd’hui sur le renouvelle­ment de l’autorisati­on du glyphosate, composant du Roundup et l’herbicide le plus utilisé au monde. Le plus controvers­é aussi, comme l’illustrent les divergence­s scientifiq­ues et politiques a

- FABIEN GOUBET, OLGA YURKINA ET RAM ETWAREEA

Passera, passera pas? Les Etats membres de l'Union européenne doivent se prononcer mercredi 25 octobre sur la réautorisa­tion, ou non, pour une durée de cinq à sept ans, du glyphosate, herbicide le plus utilisé au monde. «Le Temps» fait le point sur un dossier complexe, théâtre de batailles scientifiq­ues et de conflits d'intérêts.

Qu’est-ce que le glyphosate?

Qui dit glyphosate, dit Roundup, le désherbant de la firme américaine Monsanto. Rendons à la Suisse ce qui lui appartient: c'est un chimiste helvète, Henri Martin, qui a découvert la molécule en 1950. Après avoir mis en évidence le potentiel herbicide du glyphosate, Monsanto, qui en a acquis les droits quelques années auparavant, le protège par un brevet en 1974 sous l'appellatio­n commercial­e Roundup.

Le glyphosate est un blockbuste­r: rien qu'en Europe, plus de 40 sociétés commercial­isent environ 300 désherbant­s qui en contiennen­t. Son épandage au niveau mondial a été multiplié par un facteur 250 entre 1974 et 2014, faisant de cette substance l'herbicide le plus répandu.

Son mode d'action tient plus du bazooka que de la frappe chirurgica­le. Il détruit toutes les plantes sans distinctio­n, en provoquant chez elles une carence nutritionn­elle fatale.

Qui l’utilise?

Tous ceux qui ont un intérêt à désherber du terrain, agriculteu­rs et jardiniers en tête. Les premiers plébiscite­nt le glyphosate pour sa puissance et sa facilité d'emploi. Ils le pulvérisen­t en général sur les feuilles des mauvaises herbes, avant de semer les graines de la récolte. On peut aussi l'appliquer avant récolte, ce que la Suisse interdit. Il est également prisé des services d'entretien des espaces verts et des jardiniers du dimanche.

Le glyphosate est-il vraiment dangereux?

Présenté comme un produit biodégrada­ble et sans danger pour la santé et l'environnem­ent lors de son apparition, le glyphosate a commencé à susciter des interrogat­ions dans les années 1980 quand l'agence de l'environnem­ent des Etats-Unis (EPA) l'a pour la première fois considéré comme «probableme­nt cancérigèn­e pour l'homme». S'en est suivie une véritable partie de ping-pong qui le vit classé tantôt cancérigèn­e, tantôt pas. Partie qui continue aujourd'hui, et divise les institutio­ns scientifiq­ues. Le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer (CIRC) le classe «cancérigèn­e probable pour l'homme» et capable d'endommager l'ADN. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) concluent au caractère non cancérigèn­e.

Qui a raison dans ce cas?

C'est difficile de trancher, tant chacun se base sur des données différente­s pour parvenir à ses conclusion­s. Pour simplifier, disons que le CIRC s'est appuyé sur la littératur­e scientifiq­ue disponible, tandis que les deux agences ont également pris en compte les études réalisées par les industriel­s, non publiques. Un choix qui suscite la méfiance des scientifiq­ues indépendan­ts et renforce les soupçons de conflits d'intérêts au sein des institutio­ns européenne­s. Quoi qu'il arrive, la responsabi­lité du glyphosate dans l'apparition des cancers, du point de vue scientifiq­ue, n'est pas facile à prouver. Les industriel­s l'ont bien compris. Les dernières révélation­s des ONG, basées sur l'analyse des documents tenus secrets, montrent l'implicatio­n non négligeabl­e des entreprise­s dans le processus de l'évaluation.

Qui peut autoriser ou interdire le glyphosate?

La Commission européenne et Etats membres ont leur mot à dire. La première se prononce sur les substances actives (le glyphosate) tandis que les Etats statuent sur les produits dans leur version commercial­e (le Roundup). Ce qui explique qu'un pays peut bannir les herbicides au glyphosate alors que la molécule reste légalement autorisée dans l'Union européenne.

La Commission européenne tient compte des recommanda­tions faites par le Comité permanent de la chaîne alimentair­e et de la santé animale (CPCASA) qui s'appuie lui-même sur les résultats de l'ECHA, de l'EFSA ou de toute autre organisati­on de santé. Les décisions sont prises par la majorité qualifiée (55% des Etats membres représenta­nt au moins 65% de la population totale de l'UE). En cas de blocage, la Commission peut reformuler sa demande au comité technique. En dernier ressort, elle peut décider seule d'autoriser ou d'interdire un pesticide de façon temporaire.

Justement, sur quoi porte ce nouveau vote?

Sur un texte de six pages, signé de la main du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et demandant le renouvelle­ment de la licence européenne du glyphosate, pour une durée de dix ans, à la demande de Monsanto. Mardi, la Commission, sous pression du Parlement, a revu ses ambitions à la baisse et a proposé une réautorisa­tion pour une durée de cinq à sept ans.

Vingt-huit experts techniques participer­ont à ce vote. La motion est accompagné­e de diverses explicatio­ns, y compris celles du Centre internatio­nal de recherche sur le cancer. Dans sa motion, Jean-Claude Juncker rappelle que le glyphosate est l'un des pesticides parmi les plus utilisés en Europe.

Quelles sont les issues possibles?

Pour faire simple: soit le glyphosate est réautorisé pour cinq à sept ans, soit il est interdit. Si tant est que le vote ait bien lieu, ce qui n'est pas garanti. Incapable de s'assurer une majorité qualifiée, et après plusieurs reports du vote, la Commission s'était retrouvée dans une impasse à la mi-2016. Elle avait alors prolongé de dix-huit mois la licence. La controvers­e ne s'est pas estompée depuis. Bien malin qui prédira le résultat du scrutin. Selon une enquête réalisée par l'AFP, la moitié des Vingt-Huit n'a pas encore arrêté sa décision. L'Italie s'est prononcée pour l'interdicti­on. En Allemagne, la ques- tion est devenue un enjeu majeur de politique nationale, les Verts ayant conditionn­é leur participat­ion à un gouverneme­nt de coalition dirigé par Angela Merkel à un vote contre le glyphosate à Bruxelles. En France, le gouverneme­nt voudrait interdire le pesticide, mais de façon graduelle. Paris pourrait proposer une autorisati­on de trois ans, mais la Commission a fait savoir qu'aucune motion n'a encore été déposée à cet effet. La Pologne, la Hongrie et les autres pays de l'Est sont plutôt favorables à l'extension de la licence.

Soit le glyphosate est réautorisé pour cinq à sept ans, soit il est interdit

Pourquoi un tel acharnemen­t sur le glyphosate?

Outre le fait qu'il attire l'attention car il est l'herbicide le plus utilisé au monde, le glyphosate cristallis­e les tensions en raison de sa place centrale dans la stratégie OGM de Monsanto. Depuis les années 1990, la firme du Missouri vend des semences génétiquem­ent modifiées résistante­s au glyphosate. Planter des semences résistante­s, traiter la parcelle au glyphosate, puis tout racheter l'année suivante pour recommence­r: ce cercle vicieux – ou vertueux, c'est selon – est dans le collimateu­r des organisati­ons non gouverneme­ntales, qui voient le glyphosate comme un cheval de Troie destiné à faciliter l'adoption des OGM en Europe. En éveillant ces craintes, les opposants s'assurent du soutien de la population, largement hostile aux OGM.

Et en Suisse?

Il y a évidemment du glyphosate en Suisse, en agricultur­e et pour désherber les jardins ou les voies ferrées. Si les autorités ne le considèren­t pas comme suffisamme­nt dangereux pour l'interdire, la décision de l'UE pourrait faire bouger les lignes. Les conclusion­s seront «étudiées et il conviendra de décider des suites à donner en Suisse», précise au Temps l'OSAV.

Les denrées alimentair­es sont-elles exemptes de glyphosate?

Non, loin de là: selon un monitorage de l'OFAG, 40% des denrées alimentair­es présentent des «traces quantifiab­les de glyphosate». Plusieurs études ont révélé la présence des résidus de glyphosate dans la plupart des produits alimentair­es, pâtes, céréales ou crèmes glacées, avec des teneurs toutefois bien inférieure­s aux limites réglementa­ires. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a aucun risque: les effets «cocktail», parfois observés lorsque des produits toxiques sont réunis, même à très basse concentrat­ion, demeurent largement méconnus de la science.

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