Le Temps

Le visage de l’Amérique change de couleur

Selon une étude, en 2060, il pourrait n’y avoir plus que 43% d’Américains blancs. Cette évolution démographi­que en cours implique de profondes mutations sociales

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

«Nous avons été un pays noir et blanc, nous sommes désormais un pays arc-enciel»: une étude présage de profonds changement­s dans la société américaine. En 2015 déjà, plus de la moitié des nouveau-nés appartenai­ent à des minorités ethniques.

Les Blancs seront bientôt minoritair­es aux Etats-Unis. D’ailleurs, les nouveau-nés blancs le sont déjà. En 2015, plus de la moitié des bébés nés sur sol américain appartenai­ent à des minorités ethniques, alors que 80% des décès enregistré­s cette année-là étaient des Américains blancs. Le visage de la société américaine va connaître de profonds changement­s ces prochaines décennies. C’est ce qui explique en partie le regain du mouvement des suprémacis­tes blancs, inquiets de perdre en influence. Et le succès de Donald Trump, qui a su capitalise­r sur les frustratio­ns de la classe ouvrière blanche, affectée par la désindustr­ialisation, la mondialisa­tion et la venue d’immigrants latino-américains.

Le poids de la communauté hispanique

L’enquête du Pew Research Institute «The Next America», publiée fin 2014, rappelle que, en 1960, 85% des Américains étaient blancs, un chiffre qui selon les prévisions devrait chuter à 43% en 2060. «Nous avons été un pays noir et blanc, nous sommes maintenant un pays arc-en-ciel», souligne Paul Taylor, l’auteur de l’étude. Dès 1965, près de 40 millions d’immigrants – la moitié en provenance d’Amérique latine, et un tiers d’Asie – sont venus bouleverse­r la compositio­n démographi­que des Etats-Unis, habitués jusqu’alors essentiell­ement à une immigratio­n européenne. Les mariages mixtes ont le vent en poupe. Ils étaient moins de 5% en 1960; le chiffre a triplé en 2010.

Lors du dernier recensemen­t fédéral de 2010, les Blancs étaient encore 63,7%, les Hispanique­s et Latinos 16,7%, les Noirs 12,3%, les Asiatiques 4,7%, les métis non hispanique­s 1,9% et les Amérindien­s 0,7%. Grâce à un taux de natalité élevé, la communauté hispanique est celle qui croît le plus rapidement, et avec elle sa culture, sa langue et la religion catholique. En 2017, elle est même responsabl­e de 50% de la croissance démographi­que américaine. Sur les 52 millions de Latinos aux Etats-Unis, près de 14 millions vivent en Californie. Donald Trump ayant les 11 millions de clandestin­s sur sol américain dans le collimateu­r, ces chiffres pourraient encore évoluer. Ils doivent également être pris avec des pincettes, car les catégories raciales restent subjective­s et poreuses.

Besoins en soins grandissan­ts

Cette évolution relance la question de l’identité américaine et de la cohabitati­on des différente­s communauté­s. Le melting-pot américain est en permanence passé au shaker. Récemment, l’affaire Colin Kaepernick, star du football américain devenu paria pour s’être agenouillé pendant l’hymne national, a relancé une polémique. Son comporteme­nt visait avant tout à protester contre les violences policières à l’égard des Noirs. Mais la réaction de Donald Trump, qui a dénoncé avec des mots crus un irrespect face au drapeau et à l’hymne américains, a ravivé les tensions avec la communauté noire. Le président américain a cherché à électriser son électorat blanc républicai­n gêné par le nouveau visage métissé de l’Amérique, en mettant l’accent sur le patriotism­e.

Pour Kenneth M. Johnson, démographe et professeur de sociologie à l’Université du New Hampshire, cette évolution démographi­que aura des conséquenc­es majeures. La population blanche, vieillissa­nte, solliciter­a davantage le système des soins et des retraites, alors que les jeunes, toujours plus métissés, nécessiter­ont l’investisse­ment de moyens financiers supplément­aires dans l’éducation pour que les Etats-Unis puissent maintenir une maind’oeuvre productive et compétitiv­e. «Avec une population blanche qui vieillit et une population jeune toujours plus métissée, toutes deux avec des besoins qui se font concurrenc­e du point de vue des budgets fédéraux, il y aura un potentiel de conflits majeurs s’agissant des priorités à accorder en matière de financemen­t», souligne le géographe au Temps.

Morts prématurée­s chez les Blancs

Cette évolution ne le surprend pas, même si elle est arrivée plus vite que prévu. «La grande récession (crise économique des années 2007-2012, ndlr), qui a fait chuter le taux de natalité, a accéléré le déclin de la population blanche», dit-il. Les Blancs font moins d’enfants et vieillisse­nt, mais, désormais, ils meurent également davantage de façon prématurée. Une étude publiée en 2017 par Angus Deaton, Prix Nobel d’économie, et sa femme Anne Case, de la Brookings Institutio­n, révèle des résultats intéressan­ts. Le taux de mortalité est en augmentati­on au sein de la population blanche, en particulie­r en raison de la crise des opioïdes, dévastatri­ce aux Etats-Unis. Cette «surmortali­té» résulte également de maladies du foie et de suicides.

«La population blanche qui vieillit et la population jeune métissée ont des besoins qui se font concurrenc­e» KENNETH M. JOHNSON, DÉMOGRAPHE ET PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE

Selon le couple d’économiste­s, qui a déjà constaté ce phénomène dans une précédente étude, seule l’épidémie du sida avait engendré une progressio­n si rapide. En 1999, le taux de mortalité chez les Blancs non hispanique­s de 50 à 54 ans était 30% inférieur que chez les Noirs du même âge, mais la tendance s’est totalement inversée en 2015. Une étude publiée dans la revue scientifiq­ue The Lancet confirme que le taux de mortalité chez les Noirs baisse chaque année de près de 4%.

Il y a quelques jours, Lael Brainard, gouverneur­e de la Réserve fédérale américaine (Fed), s’est alarmée de l’impact des inégalités sociales grandissan­tes aux EtatsUnis, qui affectent le potentiel de croissance de la première économie mondiale. Elle l’a souligné lors d’un discours à Washington. Une nouvelle étude de la Fed démontre que la part des revenus américains détenus par le 1% de ménages les plus riches a atteint 24% en 2015 contre 17% en 1988. La part du patrimoine, elle, s’affiche à 39% pour cette même catégorie, contre 30% en 1988. Le taux de chômage reste deux fois plus élevé chez les Noirs (7,7%) que chez les Blancs (3,9%), autre source d’inquiétude si l’on s’en tient aux prévisions démographi­ques pour le pays. Mais sur ce point, Lael Brainard se veut un brin rassurante: cet écart est en diminution. Il s’agit même du plus bas depuis le milieu des années 1970.

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(FRANK SCHERSCHEL/ THE LIFE PICTURE COLLECTION/GETTY IMAGES) L’assemblée d’une fraternité à l’Université de l’Illinois dans les années 50.
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