Accord symbolique sur le travail détaché
Après des mois de tension, les Etats membres se sont mis d’accord sur de nouvelles règles pour les travailleurs détachés. Avec des conditions durcies et une unité plus ou moins préservée entre l’Est et l’Ouest, tout le monde sort gagnant
Préserver l’unité des Etats membres de l’Union européenne (UE), surtout en temps de Brexit, et désamorcer les bombes à retardement que constituent certains dossiers. Lundi à Luxembourg, les ministres européens chargés de l’Emploi et des Affaires sociales étaient appelés à réussir cet exercice en s’accordant sur un sujet hautement sensible: le détachement des travailleurs et la maind’oeuvre à bas coût venant des pays de l’Est, devenus la véritable bête noire européenne du président français Emmanuel Macron.
Il leur aura fallu plus de douze heures de négociations. Mais au final, une majorité d’Etats s’est ralliée à cette réforme qui entérine le principe «à travail égal, salaire égal». Et cela y compris dans les anciens pays de l’Est, grands pourvoyeurs de travailleurs détachés, la Roumanie, la République tchèque ou la Slovaquie ayant par exemple soutenu le consensus. La Pologne et la Hongrie s’y sont en revanche opposées, jugeant les concessions insuffisantes, tout comme la Lituanie et la Lettonie.
Emblématique des clivages et des disparités économiques et sociales en Europe, c’est en partie avec ce dossier des travailleurs détachés que le président français s’était fait entendre dès son arrivée au pouvoir, plaidant pour une Europe protectrice face au dumping social et s’attirant au passage les foudres de la Pologne.
Conséquences de l’élargissement de 2004
Plusieurs mois plus tard, il a plus ou moins réussi: les ministres ont en effet un peu durci les règles du détachement, accusées par une bonne partie des «vieux» pays membres de favoriser le dumping social et salarial sur leur sol.
Datant de 1996, cette directive a surtout été mal considérée après l’élargissement de 2004 et 2007 aux douze pays de l’Europe centrale et orientale. Consciente que le système actuel ne met pas sur un même pied d’égalité travailleurs locaux et travailleurs étrangers, la Commission avait donc elle-même proposé de réviser le texte en mars 2016.
Que reproche-t-on exactement à cette directive? Tout d’abord de permettre à un travailleur détaché dans un autre pays de ne toucher que le salaire minimum du pays d’accueil, une aubaine pour les entreprises qui peuvent alors offrir des tarifs inférieurs à ceux des prestataires locaux, en appliquant en outre des normes de travail moins contraignantes.
Proportion marginale
Selon la Commission européenne, il ya à ce jour près de deux millions de travailleurs détachés dans l’Union européenne. Mais la proportion reste marginale, ces travailleurs ne représentant que 0,7% de l’emploi salarié dans l’UE, toujours selon ces chiffres. La bataille se jouait donc essentiellement sur le symbole.
Lundi soir, les ministres ont ainsi décidé que la durée du détachement des travailleurs ne pourrait pas dépasser douze mois contre les vingt-quatre mois que proposait la Commission. Cette durée minimale était une ligne rouge de Paris, soutenue d’ailleurs par Berlin, Rome et Madrid. L’Espagne attendait alors un geste en retour sur les règles applicables aux transporteurs routiers, sa propre ligne rouge.
Le travailleur détaché recevra aussi désormais une rémunération égale à celle versée aux travailleurs locaux avec tous les avantages, dont ceux prévus par les conventions collectives. La coopération entre administrations sera par ailleurs renforcée pour lutter contre la fraude et vérifier que les travailleurs détachés sont bien affiliés à un régime de sécurité sociale.
«Poudre de perlimpinpin»
Un durcissement qui n’est peutêtre toutefois qu’une façade. Car si des pays comme la Roumanie se sont ralliés au compromis, c’est aussi parce qu’ils pourront obtenir un prolongement de six mois pour les missions de détachement, faisant ainsi passer la durée
Avec 0,7%, les travailleurs détachés ne représentent qu’une proportion marginale de l’emploi salarié dans l’UE
maximale à dix-huit mois. Cette possibilité est d’ailleurs une idée roumaine. Le secteur du transport routier n’est, lui, pas couvert par ces nouvelles règles. Il devrait l’être par une autre directive, ce qui a déplu à la Confédération européenne des syndicats, plutôt mitigée sur cet accord. Enfin, les Etats membres auront plus de temps (quatre ans, en tout) pour mettre en oeuvre ces nouvelles règles, contre les deux ans que demandait Paris.
Pour les socialistes français, cet accord, qui devra encore être soutenu par le Parlement européen, est tout simplement de la «poudre de perlimpinpin», ontils réagi, reprenant le vocabulaire du président Macron. Car la durée moyenne de détachement n’excède que très rarement quatre mois dans l’UE, rappellent-ils. Les socialistes français estiment que le président Macron a perdu du temps. Un accord sur cette révision était en effet déjà à portée de main au mois de juin. Marine Le Pen, la présidente du Front national, a estimé que cet accord ne changeait «rien sur le fond» et que les routiers français avaient été «sacrifiés».
■