Le Temps

Joseph Incardona, dans l’univers noir d’un romancier talentueux

Avec son livre «Chaleur», le Lausannois figure parmi les finalistes du Prix du polar romand. Rencontre avec l’un de nos meilleurs auteurs de romans noirs

- PAR MIREILLE DESCOMBES

Quand on est à cheval entre les cultures, on se sent peut-être plus libre de ne pas oser la ressemblan­ce. Une position pas forcément confortabl­e dans un monde féru d’étiquettes et qui n’aime pas les outsiders. Né en 1969 à Lausanne, de mère suisse et de père sicilien, Joseph Incardona fait partie de ces chevaliers au panache incertain. Souvent classé comme auteur de romans noirs bien qu’il ait écrit d’autres choses, il est l’un des trois finalistes, avec son livre Chaleur, du Prix du polar romand attribué le vendredi 27 octobre dans le cadre du festival Lausan’noir. Il y parlera aussi de son dernier ouvrage, Les Poings, paru en septembre. On le retrouvera ensuite en novembre à Genève dans le cadre de la manifestat­ion Fureur de lire. Rencontre avec un homme qui revendique l’urgence de toujours se surprendre soi-même.

Un chien pour ami

Pas de bistrot ouvert côté gare de Lausanne en ce samedi aprèsmidi? On se réfugie dans le lobby accueillan­t d’un hôtel improbable dont l’une des parois exhibe fièrement tout un essaim de pendules à coucous. Ce non-lieu plus suisse que suisse n’est apparemmen­t pas pour déplaire à l’écrivain qui, enfant, a peut-être côtoyé ce genre de décors. Fils unique d’un couple travaillan­t dans l’hôtellerie, Joseph Incardona a connu des premières années solitaires marquées par d’incessants déménageme­nts. «Pendant longtemps, mon meilleur ami était un chien, se rappelle-t-il. Par ailleurs, j’inventais tout le temps des jeux, des mondes, des univers. Une façon déjà de créer de la fiction, et d’une certaine manière de commencer à écrire.»

Avant que l’écriture ne devienne vraiment son «territoire», Joseph Incardona fait toutefois des études en Sciences politiques et un bref passage par le journalism­e. «Je ne collais jamais suffisamme­nt aux faits. Au bout de trois ou quatre mois, on m’a donc conseillé de trouver autre chose. Et d’un coup, ce fut la révélation, j’ai compris qu’en fait j’avais envie de raconter des histoires.» A partir de ce moment-là, il ne prend plus que des petits boulots qui lui laissent le temps d’écrire. Depuis quatre ans, il vit de sa plume.

Ouvert sans être expansif, amical et pourtant réservé, notre interlocut­eur ne se laisse pas facilement cerner. Et ses livres sont à son image. Multiples, surprenant­s, exigeants, ils déroutent ceux qui, chez un auteur, apprécient et recherchen­t la répétition du même. Joseph Incardona a publié des romans, des nouvelles, du théâtre, des romans graphiques et travaille actuelleme­nt comme scénariste. Il a écrit des livres d’inspiratio­n autobiogra­phique comme Permis C où il raconte son enfance et met en scène son alter ego, André Pas- trella. Un personnage fétiche que l’on retrouvera, trentenair­e, dans Banana Spleen à paraître début mars chez BSN Press.

«Roman social»

Autre facette de son talent, le roman noir. Son livre Derrière les panneaux, il y a des hommes a d’ailleurs reçu le Grand Prix de littératur­e policière en 2015. Un récit qui se passe entièremen­t sur l’autoroute. Il ne s’agit toutefois pas d’un polar, genre dont notre interlocut­eur n’est pas un inconditio­nnel. Pour lui, du reste, même le mot noir est à prendre au sens large. «Je préférerai­s presque parler de roman social, bien que je n’aime pas trop ce terme-là. Pour moi, c’est une réflexion sur notre monde, une façon de s’aventurer dans l’envers du décor, de l’autre côté du miroir. Au fond, c’est un peu le roman de l’homme. Et j’y mettrais aussi bien Anna Karénine que Le voyage au bout de la nuit.»

Avec Joseph Incardona, le temps passe vite. Surtout quand, comme lui, on aime explorer les chemins de traverse. Rencontré entre deux trains, l’écrivain doit bientôt repartir. Il devient donc urgent d’aborder ses deux derniers livres, Chaleur(Finitude) et Les Poings (BSN Press). Deux livres très particulie­rs qui, sur certains points, dialoguent. Tous deux sont très proches du corps. Tous deux évoquent la compétitio­n, sa grandeur et ses absurdités. Publié dans la petite collection Uppercut, Les Poings raconte, dans une langue cassante et rythmée, les efforts d’un boxeur plombé par le doute pour remonter sur le ring. Chaleur part d’un fait divers tragique: un accident qui s’est produit en 2010 au Championna­t du monde de sauna d’Heinola, en Finlande.

On ne vous racontera pas l’histoire de ce défi insensé. On précisera toutefois que Joseph Incardona a choisi, pour l’incarner, des personnage­s singuliers et riches, une star du porno finlandais et un ancien militaire russe. Ajoutons aussi qu’il a consciemme­nt ciselé son style pour coller au plus juste à son propos. Les adjectifs et les adverbes – qu’il n’aime guère – s’y font encore plus rares que dans ses autres livres. «Et je n’ai pas utilisé de tiret parce que je voulais que, comme sous l’effet de la chaleur, la narration soit littéralem­ent fondue avec les dialogues.»

Mais voici que les horloges brusquemen­t s’éveillent et remplissen­t de leurs coucous sonores notre salon doucement feutré. Il faut s’arrêter. Joseph Incardona s’en va en courant. Son train n’attend pas.

Lausan’noir, festival du polar, du 27 au 29 octobre au Théâtre 2.21 à Lausanne. Remise du Prix du polar romand le 27 à 18h. Rencontre avec Joseph Incardona et Gipsy Paladini, le 29 à 14h30.

Fureur de lire, du 23 novembre au 26 novembre à Genève, dans une trentaine de lieux.

«Je voulais que, comme sous l’effet de la chaleur, la narration soit littéralem­ent fondue avec les dialogues»

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