Le Temps

Anne Bisang raconte comment elle tisse sa toile théâtrale

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff Théâtre populaire romand de La Chaux-de-Fonds . www.tpr.ch

Nouvelles ambitions du Théâtre populaire romand de La Chauxde-Fonds, ligne de force d’une saison dominée par Nathalie Sarraute et Christine Angot, affaire Weinstein: la directrice artistique du TPR Anne Bisang décline ses conviction­s

Sur les hauteurs, La Chaux-de-Fonds tisse sa toile théâtrale. Directrice artistique du Théâtre populaire romand (TPR) depuis 2013, la Genevoise Anne Bisang a l’ambition de projeter sa maison au coeur de la Suisse culturelle. Le slogan de sa nouvelle saison, «Voir loin», en est le signal. Un symbole de cet esprit de conquête? Elle coproduit cet automne Le Direktor, un scénario de Lars von Trier monté avec brio par l’Espagnol Oskar Gomez Mata – spectacle ovationné à La Bâtie à Genève, à l’affiche du TPR dès le 2 novembre, avant le Théâtre de Vidy, le Théâtre Benno Besson à Yverdon-les-Bains et Nuithonie à Villars-sur-Glâne.

Au bout du fil, Anne Bisang balaie les géographie­s figées. Les frontières, elle entend les faire traverser aux spectacles que le TPR cofinance – sa propre production, Elle est là, applaudie à Beau-Site depuis mercredi, se jouera ensuite à La Grange de Dorigny, à Neuchâtel et à Delémont. Mais aussi aux artistes qui lui sont chers, comme la Russe Tatiana Frolova qui présentera samedi 11 et dimanche 12 novembre Je n’ai pas encore commencé à vivre.

Avec relativeme­nt peu de moyens, vous cherchez de nouvelles alliances. Comment cette volonté peut-elle se traduire? Il y a deux saisons, nous avions imaginé un dispositif intitulé «Les belles complicati­ons». Le concept consistait à former un ensemble d’acteurs qu’on retrouvait à travers trois production­s, montées chacune par un metteur en scène différent. Nous reconduiro­ns cette formule dès l’automne 2018, mais en l’élargissan­t à la Suisse romande, soit la Comédie de Genève, le Théâtre du loup dans cette même ville et Les Halles de Sierre.

Il y aura donc une troupe commune à ces institutio­ns? Oui, un ensemble éphémère qui sera mis à dispositio­n de trois metteuses en scène, Manon Krüttli à La Chauxde-Fonds, Olivia Seigne à Sierre et Natacha Koutchoumo­v, codirectri­ce de la Comédie. Leurs spectacles tourneront ensuite dans les différents lieux partenaire­s.

Le TPR se transforme-t-il en incubateur de spectacles à vocation romande? Nous avons un rôle à jouer sur l’ensemble de ce territoire, ne serait-ce que pour honorer notre titre de Théâtre populaire romand. Notre atout, c’est de disposer de salles de répétition et d’ateliers au sein même de notre structure. C’est ainsi qu’Oskar Gomez Mata a pu répéter Le Direktor cet été pendant trois semaines, avec l’appui de notre équipe technique. Nous ne sommes pas riches, mais nous possédons un outil formidable pour accueillir des artistes et leurs compagnies.

Cette saison est marquée par la présence de Christine Angot, dont vous programmez Un amour impossible – face-à-face entre une mère et sa fille, joué par Bulle Ogier et Maria de Medeiros. Depuis la rentrée, l’auteure d’Inceste frappe dans l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché. Quel rapport entretenez-vous avec cette écrivaine? Ce que j’ai toujours admiré chez Christine Angot, c’est sa façon de regarder la réalité dans les yeux, avec une honnêteté incroyable. Dans Un amour impossible, Rachel et sa fille en décousent. Au coeur de leurs échanges, il y a Pierre, l’homme que Rachel a aimé, le père aussi de Christine, celui qui a abusé d’elle. Ça pourrait être glauque, c’est lumineux, dans l’écriture, comme dans la mise en scène de Célie Pauthe. Christine Angot est de ces auteurs qui se jettent avec courage dans la mêlée.

Vous présentez ces jours Elle est là de Nathalie Sarraute, l’histoire infernale d’un homme qui prête à une collaborat­rice une idée dangereuse, sur laquelle il n’arrive pas à mettre de mots. Il la harcèle; elle se dérobe; il sombre dans une paranoïa dévastatri­ce. D’où vient cette affection pour la papesse de ce qu’on a appelé le Nouveau Roman? C’est une histoire d’amour. J’ai découvert l’écriture laconique et subtile de Nathalie Sarraute à l’époque où j’apprenais le métier de comédienne au Conservato­ire de Genève. J’ai été fascinée par cette écriture qui laisse place aux silences, c’est-à-dire aux forces souterrain­es, celles qui sous-tendent tout échange. Nathalie Sarraute va à l’essentiel.

Quand j’ai relu il y a quelque temps Elle est là, j’ai été frappée par la résonance de son sujet avec une certaine actualité. Cet homme, «H2», qui poursuit une

«Ce que j’ai toujours admiré chez Christine Angot, c’est sa façon de regarder la réalité dans les yeux, avec une honnêteté incroyable»

ANNE BISANG, DIRECTRICE DU TPR «Nathalie Sarraute va à l’essentiel. Son écriture laisse place aux silences, c’est-àdire aux forces souterrain­es, celles qui sous-tendent tout échange»

femme suspecte de dissidence, se radicalise. Il est incapable de créer le lien avec elle, d’admettre un autre point de vue que le sien, comme ces jeunes Français qui finissent par prendre les armes au nom du djihadisme.

Le monde est sous le choc de l’affaire Harvey Weinstein. Avez-vous été confrontée à cette violence sur les scènes romandes? De jeunes comédienne­s m’ont raconté des histoires de ce genre. Il n’y a pas que le harcèlemen­t sexuel, il peut y avoir des mises à l’écart arbitraire­s, des chantages. Mais le monde théâtral évolue. Il y a aujourd’hui une plus grande mixité, davantage de metteuses en scène, de directrice­s de théâtre. On peut espérer que cette évolution change les mentalités et que les nouvelles génération­s soient plus vigilantes.

 ?? (ANNE WYRSCH/TPR) ?? Si Anne Bisang dispose de moyens modestes pour mener à bien sa mission à la tête du Théâtre populaire romand, elle souhaite soutenir les artistes en leur donnant accès à «un outil formidable»: les salles de répétition et les ateliers de l’institutio­n...
(ANNE WYRSCH/TPR) Si Anne Bisang dispose de moyens modestes pour mener à bien sa mission à la tête du Théâtre populaire romand, elle souhaite soutenir les artistes en leur donnant accès à «un outil formidable»: les salles de répétition et les ateliers de l’institutio­n...

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