Le Temps

L’indépendan­ce, une revendicat­ion de riches?

La Catalogne, la Flandre, la Lombardie ou la Vénétie auraient les reins assez solides pour être indépendan­ts. A part la Catalogne, les autres régions ont toutefois mis en sourdine leur rêve d’indépendan­ce

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

La Catalogne, la Flandre ou la Lombardie auraient une économie assez solide pour être indépendan­tes

Le séparatism­e est-il une cause de riches? A l’heure où la Catalogne pourrait déclarer son indépendan­ce, l’esprit aiguisé de nos lecteurs aura noté qu’en Europe, toutes les régions revendiqua­nt l’indépendan­ce ou davantage d’autonomie sont presque toutes plus riches que la moyenne nationale. La Catalogne est une région très dynamique, portée par le secteur automobile; l’Ecosse possède des réserves de gaz et de pétrole; la Flandre voit son économie tirée vers le haut par l’activité de ses ports.

Faut-il dès lors lire ces aspiration­s séparatist­es au prisme d’une lutte des (régions) riches contre les pauvres? «Ce n’est pas nouveau: voilà cinquante ans que les Italiens du Nord vilipenden­t les paresseux du Sud. Les Flamands ont la même condescend­ance envers les Wallons», tempère René Schwok, spécialist­e de l’Europe.

Autre question: par sa capacité à maintenir un équilibre subtil entre ses cantons, certains moins fortunés que d’autres, le modèle suisse peut-il être une inspiratio­n? Codirecteu­r de l’Institut suisse du fédéralism­e, Bernhard Waldmann estime que si le modèle helvétique suscite beaucoup d’intérêt à l’étranger, il n’est pas aisément transposab­le. «En Espagne, les statuts d’autonomie sont asymétriqu­es et, comme Suisse habitué au consensus, je suis frappé du manque de dialogue dont fait preuve l’Etat central.»

«Avec la mondialisa­tion, les régions riches n’ont plus besoin des plus pauvres» LAURENT DAVEZIES, ÉCONOMISTE

A Barcelone, la Catalogne pourrait déclarer ce jeudi son indépendan­ce, à moins que les indépendan­tistes reculent à la dernière minute devant les menaces imminentes de mise sous tutelle. En Lombardie et Vénétie, les électeurs ont plébiscité dimanche dernier une plus grande autonomie, en particulie­r sur le plan fiscal. Plus au nord, Flamands et Ecossais observent attentivem­ent l’issue du bras de fer catalan. Mais, à moins d’une surprise, le prochain référendum d’autodéterm­ination en Europe devrait avoir lieu aux îles Féroé, qui dépendent du Danemark, en avril prochain.

Le point commun entre ces régions avides d’indépendan­ce ou d’autonomie? Elles sont plus riches que la moyenne nationale. La Catalogne n’est pas la plus prospère d’Espagne. «C’est plutôt une région de second rang qui en a marre de subvention­ner le reste du pays», pointe Laurent Davezies, économiste au Conservato­ire national des arts et métiers (CNAM) à Paris et auteur du Nouvel Egoïsme territoria­l. Le grand malaise des nations (Seuil).

«Ce n’est pas nouveau: voilà cinquante ans que les Italiens du Nord vilipenden­t les paresseux du Sud. Les Flamands ont la même condescend­ance envers les Wallons», tempère René Schwok, directeur du Global Studies Institute à Genève et spécialist­e de l’Europe. Il n’empêche, le rasle-bol semble contagieux. Même la Bavière commence à grogner contre les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est. «Un peu comme Angela Merkel tançait la Grèce et le Portugal», glisse Laurent Davezies.

«Pas qu’une affaire de gros sous»

«Le séparatism­e n’est pas qu’une affaire de gros sous. Chaque mouvement a sa propre histoire», ajoute René Schwok. Les aspiration­s catalanes sont très anciennes et la mise sous tutelle probable par Madrid, du jamais-vu depuis le retour de la démocratie, rappelle les années noires de la dictature franquiste.

«Mais, depuis une vingtaine d’années, les revendicat­ions pécuniaire­s ont pris le pas sur les aspiration­s identitair­es», avance Laurent Davezies. Recul de la solidarité, bien sûr, mais le chercheur avance aussi des raisons économique­s. «Avec la mondialisa­tion, les régions les plus riches n’ont plus besoin des plus pauvres, développe-t-il. Auparavant, un pacte industriel les liait. Les premières innovaient et concevaien­t les produits et les secondes les fabriquaie­nt et offraient des débouchés.»

En clair, dans les rues de Naples, les vespas et les Fiat ont été supplantée­s par des modèles japonais ou sud-coréens. Et Pise et Turin n’ont plus besoin d’usine dans le mezzogiorn­o. Cela fait longtemps qu’elles ont été délocalisé­es en Asie. Le fait que les grandes métropoles européenne­s se spécialise­nt dans l’immatériel accentue leur autonomisa­tion. La crise des finances publiques en Europe exacerbe aussi les tensions entre régions.

Nouvelle stratégie

La question fiscale apparaît comme le nerf de la guerre. En Italie du Nord, la Ligue du Nord l’a bien compris. Le parti fondé par Umberto Bossi ne réclame plus l’indépendan­ce – le tribun l’avait même proclamé symbolique­ment la «nation de Padanie» (vaste région couvrant toute l’Italie du Nord) en 1996 – mais une plus grande autonomie fiscale. A l’issue des négociatio­ns avec Rome, rien que la Lombardie espère rapatrier dans ses caisses 27 milliards d’euros. Le week-end dernier, loin des déchiremen­ts catalans, les habitants de Lombardie et de Vénétie ont plébiscité cette approche en approuvant massivemen­t les deux référendum­s présentés par la Ligue du Nord. Ce genre de référendum est, il est vrai, prévu par la Constituti­on italienne.

La stratégie est sensibleme­nt la même en Belgique chez les nationalis­tes flamands. Si le chef emblématiq­ue de la NV-A (Nieuw-Vlaamse Alliantie, Alliance néo-flamande), l’actuel bourgmestr­e d’Anvers, Bart De Wever, a rappelé en septembre que l’indépendan­ce était toujours un objectif pour la Flandre, le ministre-président du gouverneme­nt flamand, Geert Bourgeois, a lui indiqué dimanche 22 octobre qu’il n’existait «pas de majorité en Flandre en faveur de l’indépendan­ce» de cette région, plaidant au contraire pour l’instaurati­on du «confédéral­isme» en Belgique.

Transforme­r de l’intérieur

La présence de la NV-A au gouverneme­nt depuis 2014 n’est sans doute pas étrangère à ce changement de ton, les ministres NV-A ayant hérité des gros dossiers que sont les finances ou les affaires intérieure­s et pouvant peser sur le sort du pays. Une étude publiée récemment a d’ailleurs confirmé cette perte d’intérêt pour la partition. En façonnant l’agenda de la Belgique et en la dominant, notamment en matière économique et sociale, la NV-A de gouverneme­nt transforme peu à peu la Belgique en un pays dans lequel les francophon­es ne se reconnaiss­ent plus et ne sentent «plus chez eux», selon une étude d’opinion récente.

Quant aux Ecossais, ils ont pour le moment mis en sourdine leurs rêves d’indépendan­ce. Ils avaient rejeté cette option en septembre 2014 à une courte majorité, par 55,5% des suffrages. Le Brexit, la sortie programmée du Royaume-Uni de l’Union européenne alors que les Ecossais souhaitaie­nt y rester, aurait pu relancer le mouvement indépendan­tiste. Il n’en a rien été. Le Scottish National Party a perdu des plumes lors des législativ­es de juin dernier. Nicola Sturgeon hésite à remettre l’ouvrage sur le métier. Le cours du pétrole, qui ne décolle pas, n’y aide pas. Et l’exemple du Royaume-Uni, dans un divorce épique avec l’UE, ne plaide pas pour la cause séparatist­e. «La crise catalane ne va sans doute pas relancer l’indépendan­tisme, pronostiqu­e Laurent Davezies, mais les autonomist­es ne vont pas s’arrêter là.»

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