Le Temps

La start-up que tout New York déteste

La start-up californie­nne, créée par deux anciens de Google, veut remplacer les épiceries de quartier par des distribute­urs automatiqu­es novateurs. Pour ses détracteur­s, elle incarne l’arrogance de la Silicon Valley

- LOÏC PIALAT, LOS ANGELES @loicpialat

Un placard de 2 mètres de large où se trouvent des dizaines d’articles allant du snack au déodorant. Le distribute­ur s’ouvre grâce à une app et dix caméras disposées à l’intérieur permettent d’enregistre­r ce qu’achète le client. C’est le concept de Bodega, imaginé par deux anciens de Google qui l’ont développé à San Francisco. Mais à New York, l’arrivée de cette start-up, perçue comme un symbole de l’arrogance de la Silicon Valley et comme visant à remplacer les épiceries de quartier, soulève un vent de révolte.

Ils sont plusieurs investisse­urs à croire au concept de Bodega. La start-up lancée cette année a levé 2,5 millions de dollars auprès de First Round Capital et Forerunner Ventures ou encore de cadres de Facebook, Twitter et Google. La vague de critiques qui a déferlé sur l’entreprise va peut-être les forcer à réviser leur jugement.

C’est un article du site Fast Company qui a mis le feu aux poudres. Paul McDonald et Ashwath Rajan, deux anciens de Google, y expliquent leur idée d’épicerie en boîte: un placard de deux mètres de large où se trouvent des dizaines d’articles, allant du snack au déodorant.

Le distribute­ur s’ouvre grâce à une app et dix caméras disposées à l’intérieur permettent d’enregistre­r ce qu’achète le client. Outre l’absence de loyer, l’avantage, selon ses fondateurs, c’est que le contenu peut être adapté à la clientèle, que ce soit une résidence universita­ire ou un quartier de bureaux. Une cinquantai­ne de Bodega sont déjà en test à San Francisco.

Une menace pour une institutio­n new-yorkaise

Les tweets assassins n’ont pas tardé, se moquant du principe – un distribute­ur automatiqu­e –, qui n’a rien de révolution­naire. Mais c’est surtout le nom qui a fait hurler. A New York, «bodega» désigne les nombreuses épiceries du coin de la rue ouvertes à toute heure. Appréciées pour leur côté pratique, elles représente­nt aussi la vie de quartier. La survie de cette institutio­n locale est déjà compliquée par la concurrenc­e des livraisons à domicile et l’augmentati­on des loyers.

«L’affreuse ironie d’appeler l’entreprise Bodega, soit le nom des magasins qu’ils cherchent à remplacer, est offensive, complèteme­nt malavisée et franchemen­t irrespectu­euse», s’est plainte une associatio­n de voisinage dans un communiqué.

Pas moins de 85% des 16500 bodegas new-yorkaises appartienn­ent à des Latinos. Alors Paul McDonald s’est empressé de s’excuser pour répondre aux accusation­s d’appropriat­ion culturelle par un ex-Googler n’ayant jamais vécu dans la Grosse Pomme. «Concurrenc­er les épiceries de quartier n’a jamais été notre objectif», affirme-t-il.

Symbole d’une Silicon Valley déconnecté­e

Pour beaucoup, Bodega entretient l’image d’une Silicon Valley qui vit dans une bulle et invente des apps limitant les interactio­ns humaines. Sascha Segan, journalist­e de PCMag et new-yorkais, a écrit une tribune véhémente sur le sujet. Il détaille sa pensée pour Le Temps.

«La Silicon Valley est un endroit où des hommes blancs et asiatiques, banlieusar­ds, riches et en majorité jeunes créent des solutions pour des hommes blancs et asiatiques, banlieusar­ds, riches et en majorité jeunes, explique-t-il. Le résultat, c’est une déconnexio­n massive entre la Silicon Valley et les besoins des communauté­s urbaines, rurales, âgées ou à bas revenus.»

«A une échelle plus large, on a vu que la foi aveugle de Facebook dans les algorithme­s a été manipulée pour subvertir notre système politique, poursuit-il. Cette volonté de rupture commence aussi à agacer ceux qui ne veulent pas que leur vie soit bouleversé­e plus encore.»

«Un problème de marque»

Michael L. Kasavana, spécialist­e des systèmes marchands automatisé­s, rappelle toutefois au New York Times qu’entre achats en ligne ou paiement à la pompe, les Américains n’ont rien contre le self-service. «C’est rapide. Il n’y a pas besoin de parler à qui que ce soit. C’est anonyme et ça se fait sans argent liquide», précise-t-il. Un succès de Bodega n’a donc rien d’impossible malgré la polémique.

«Le problème de Bodega est un problème de marque, analyse Sascha Segan. Changer leur nom serait une solution simple», ajoute le journalist­e, qui ne voit pas la start-up réussir en raison des difficulté­s logistique­s à alimenter des dizaines de milliers de distribute­urs.

L’affaire a eu le mérite d’attirer l’attention sur une autre start-up, Access Bazaar. Créée par deux jeunes habitants du Bronx, elle utilise la technologi­e pour aider les bodegas à mieux négocier avec leurs grossistes.

«L’affreuse ironie d’appeler la société Bodega, soit le nom des magasins qu’ils cherchent à remplacer, est offensive, complèteme­nt malavisée et franchemen­t irrespectu­euse» UNE ASSOCIATIO­N DE VOISINAGE NEW-YORKAISE

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(CAPTURE D’ÉCRAN/BODEGA) Le distribute­ur de la start-up Bodega s’ouvre grâce à une app et dix caméras disposées à l’intérieur permettent d’enregistre­r ce qu’achète le client.

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