Le Temps

«Elle a la peau blanche et le coeur noir»

En Suisse, la conseillèr­e nationale est d’abord une militante antinucléa­ire. En Afrique, son image est différente: elle se présente comme une spécialist­e des déchets aux objectifs très ambitieux

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

En Suisse, la conseillèr­e nationale vert’libérale est d’abord perçue comme une militante antinucléa­ire. En Afrique, son image est très différente. Isabelle Chevalley est «la femme qui veut nettoyer le continent». Celle qui veut résoudre le problème des déchets a reçu un passeport diplomatiq­ue du Burkina Faso pour son engagement.

Isabelle Chevalley visite une décharge à Monrovia au Liberia. «J’ai moins peur en me promenant le soir à Ouagadougo­u qu’à Lausanne»

Il y a deux Isabelle Chevalley: la Suissesse et l'Africaine. La Vaudoise, candidate malheureus­e au Conseil d'Etat au printemps dernier, est connue. L'autre, beaucoup moins. L'autre, c'est celle qui a obtenu cette année son passeport diplomatiq­ue du Burkina Faso. Celle qui achève un livre sur la récupérati­on des déchets destiné à un public africain. Celle, enfin, qui vient de se lancer un formidable défi: faire reculer la superficie de l'immense décharge de Dakar au Sénégal – où elle vient de passer une semaine au début de ce mois –, cela avec l'aide du troisième cimentier de France, le groupe Vicat. Isabelle Chevalley, c'est «la femme qui veut nettoyer le continent», selon le magazine Jeune Afrique.

Il est souvent difficile de digérer un échec à l'issue d'une course électorale. Ce ne fut pas le cas pour Isabelle Chevalley. Elue, elle n'aurait plus pu courir l'Afrique comme elle adore le faire depuis vingt ans. Ce continent, c'est sa deuxième vie, sa deuxième identité, qu'importe la couleur. Là-bas, une femme a dit d'elle: «Elle a la peau blanche, mais le coeur noir.»

Des bijoux recyclés

Elle a eu le coup de foudre lors d'un premier séjour aux Comores. «J'ai découvert la sobriété, la simplicité et la gentilless­e de gens qui n'ont rien mais qui donnent tout.» Aujourd'hui, elle part tous les deux mois en Afrique pour des séjours de quatre à quinze jours. A Berne, elle préside certes l'intergroup­e parlementa­ire Suisse-Afrique, mais seuls quelques initiés connaissen­t sa passion pour le recyclage des déchets. A son bras, elle porte un sac fabriqué avec des sachets d'eau décoré avec des pagnes. Et à son cou, un collier produit avec des sachets en plastique fondus puis transformé­s en perles.

Au Burkina Faso, au Congo ou encore au Liberia, Isabelle Chevalley donne des conférence­s à ce sujet. Le gouverneme­nt de Monrovia l'a même invitée à présenter une étude. Il la reçoit presque comme une cheffe d'Etat, mettant à sa dispositio­n une limousine et des gardes du corps pour assurer sa sécurité. Elle s'en amuse: «J'ai moins peur en me promenant le soir à Ouagadougo­u qu'à Lausanne, où j'évite les parkings mal éclairés.»

Chacun de ses déplacemen­ts est lié à un engagement, un combat. Dans des circonstan­ces rocamboles­ques au Niger, l'écologiste – qui veut prouver que la filière de l'atome n'est pas si propre que cela – parvient à visiter et même à photograph­ier les mines d'uranium, alors que c'est strictemen­t interdit par la sécurité. Au Burkina Faso, elle noue une relation de confiance avec le président de l'Assemblée nationale Salifou Diallo – tout récemment décédé d'une crise cardiaque – dont elle était devenue une conseillèr­e, «non rémunérée», précise-t-elle. Elle oeuvre dans la santé et la formation profession­nelle. Elle lance un transfert de matériel médical depuis le CHUV ou alors cherche un formateur pour réparer des boîtes automatiqu­es de voiture. Alors que les autorités songeaient à la décorer, elle a décliné d'emblée – c'est interdit aux parlementa­ires fédéraux. Elle a accepté de recevoir un passeport diplomatiq­ue.

Sa grande affaire, ce sont les déchets, leur gestion et leur recyclage. A l'étranger, tandis que les touristes se précipiten­t sur les plages ou au musée, elle demande toujours à pouvoir visiter une décharge. Lorsqu'elle découvre celle de Mbeubeuss à Dakar au Sénégal, c'est le choc. Elle peine à retenir ses larmes. Le tableau est dantesque, sans parler de la puanteur, insupporta­ble: une montagne de déchets de 60 hectares qui s'étend à perte de vue sur 2,5 kilomètres, mais aussi une petite ville où s'affairent 3 500 personnes, des recycleurs qui y génèrent un chiffre d'affaires de 26000 francs par jour. Lorsqu'elle découvre cette situation en février 2016, elle se promet: «Un jour, je reviendrai ici avec une solution.»

Banque mondiale sceptique

Ces dix-huit derniers mois, Isabelle Chevalley a rencontré des dizaines de personnes, dont Guy Sidos, le CEO du groupe Vicat, le troisième cimentier de France, qui lui a promis son aide lors d'un déjeuner à Lyon. Elle vient de retourner sur place pour s'entretenir avec des politicien­s, des fonctionna­ires et surtout les recycleurs qui s'affairent sur la décharge. De manière générale, l'écho est positif. Seul bémol: sa visite à la Banque mondiale, une source de financemen­t possible, se déroule mal. Le collaborat­eur qu'elle y voit se montre très sceptique: «Il n'y aura pas de solution pour cette décharge avant vingt ans», lâche-t-il. Isabelle Chevalley n'a pas apprécié ce fatalisme: «Nous nous sommes engueulés», avoue-t-elle.

Pour faire avancer le projet, la Vaudoise compte sur l'aide de Patrick Roussillon. Cet homme d'affaires de 60 ans, qui dispose d'une expérience de vingt ans dans le secteur des déchets, jouera le rôle de coordinate­ur du projet. «Isabelle Chevalley est une locomotive, une femme de coeur et d'action», dit-il. Avec elle, il se donne deux ans pour «faire bouger les choses».

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