Le Temps

Réfugiés, sans-papiers, étrangers: accueillir et octroyer des droits

- EMMANUEL DEONNA CHERCHEUR EN SCIENCES SOCIALES

Les organisati­ons de défense des droits humains s’apprêtent à remettre le 20 novembre prochain au Conseil fédéral un appel contre l’applicatio­n aveugle des Accords de Dublin ayant recueilli près de 30000 signatures. Une marche pour la dignité humaine sillonne en ce moment, et jusqu’à la fin du mois de novembre, l’ensemble de la Suisse pour appeler à une autre politique d’asile. Dans ce contexte, des voix se font également entendre pour réclamer l’octroi des droits politiques aux étrangers dépourvus de passeport à la croix blanche.

Un quart de la population suisse est actuelleme­nt privée, pour ainsi dire, de participat­ion démocratiq­ue. Les étranger-ère-s qui résident en Suisse et sont dépourvu-e-s de passeport à croix blanche disposent en effet du droit de vote au niveau cantonal et communal dans seulement deux cantons – Jura et Neuchâtel. Au niveau cantonal, quatre cantons – Jura, Neuchâtel, Fribourg et Vaud – octroient aux étranger-ère-s les droits de vote complets et, à Genève, ceux-ci peuvent voter et élire dans les communes, mais, malheureus­ement, ne peuvent pas y être élu-e-s. Trois cantons de Suisse alémanique, Appenzell Rhodes-Extérieure­s, Bâle-Ville et les Grisons, permettent à ce jour à leurs communes d’introduire le droit de vote des étrangers.

Dans tous les cantons et toutes les communes de Suisse, des voix s’élèvent pour revendique­r l’acquisitio­n des droits politiques pour toutes et tous, y compris pour les étrangers résidant sur le territoire suisse. Le critère de durée de séjour pour une telle obtention devrait être uniforme et fixé par le parlement fédéral.

La naturalisa­tion constitue certes un processus important pour acquérir des droits politiques complets, le droit à la liberté d’établissem­ent et la liberté de déplacemen­t. A cause d’un durcisseme­nt des conditions de la naturalisa­tion ordinaire, dans certains cantons comme Genève, les autorités encouragen­t actuelleme­nt les candidats à accélérer leurs demandes de naturalisa­tion. La naturalisa­tion en Suisse est un processus complexe, marqué par des disparités cantonales. Des dysfonctio­nnements à l’échelle de certains cantons et de certaines communes sont régulièrem­ent mis en évidence. Globalemen­t, malheureus­ement, la tendance n’est, semble-t-il, ni à la facilitati­on, ni à la rationalis­ation du processus de naturalisa­tion.

Cependant, la question de la naturalisa­tion ne peut pas être séparée de la question de la participat­ion des étrangers à la collectivi­té. L’inclusion citoyenne de toutes les habitantes et tous les habitants de notre pays implique que des progrès soient réalisés en matière de droit de vote et d’éligibilit­é des étrangers. Toute la population résidente devrait posséder les moyens légaux suffisants pour participer à la vie sociale. Plusieurs enquêtes, dont une récente étude d’Avenir Suisse, l’indiquent: l’octroi du droit de vote aux étrangers au niveau communal et cantonal pourrait constituer aussi une réponse à la crise de la politique de milice et à l’absence de relève pour le personnel politique.

Par ailleurs, plusieurs cantons mettent en place des mesures pour garantir non seulement une meilleure inclusion sociale et culturelle des résidents étrangers, mais aussi pour tenter de protéger les population­s migrantes les plus vulnérable­s. Ainsi à Genève, dans le cadre de l’Opération Papyrus, les autorités ont défini des critères plus précis pour présenter une demande de régularisa­tion sur la base de la Loi fédérale sur les étrangers. L’Opération Papyrus permet au canton de Genève de lutter contre la sous-enchère salariale et le travail au noir.

Genève remplit ainsi en même temps son devoir de protection envers les personnes en situation irrégulièr­e, qui sont particuliè­rement exposées aux abus de toutes sortes. Dans le canton de Vaud, plusieurs parlementa­ires ont manifesté leur intérêt pour l’opération Papyrus. A Bâle, une motion en faveur d’une opération similaire à Papyrus a déjà été votée par le Grand Conseil. Pour l’instant, ces mesures progressis­tes n’intéressen­t malheureus­ement pas le canton de Zurich. C’est pourtant au bord de la Limmat que l’on trouverait plus d’un tiers des personnes sans statut légal («sans-papiers») vivant en Suisse.

Notre devoir de solidarité envers les personnes sans statut légal qui travaillen­t en Suisse s’étend aux réfugiés qui cherchent l’asile dans notre pays. Nous assistons malheureus­ement à un phénomène de criminalis­ation de la solidarité. Dans le canton de Vaud, plusieurs élus politiques ayant hébergé des requérants d’asile ont subi les foudres de certains de leurs collègues et la pression des autorités. La députée socialiste tessinoise Lisa Bosia a récemment essuyé une condamnati­on de la justice pour le rôle d’assistance qu’elle a joué à la frontière tessinoise.

Il est de notre devoir de réagir face aux critiques injustifié­es, aux tentatives de pression ou d’intimidati­on. Notre considérat­ion et notre solidarité doivent s’appliquer à toutes les personnes de bonne volonté qui résident dans notre pays, qu’elles soient Suisses, naturalisé­es, en voie de naturalisa­tion, au bénéfice d’un permis de séjour de longue ou de courte durée, sans statut légal ou requérante­s d’asile.

Notre considérat­ion et notre solidarité doivent s’appliquer à toutes les personnes de bonne volonté qui résident dans notre pays

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