Le Temps

République et religion, l’urgence du pape François et de Mahomet

- RICHARD WERLY @LTwerly

République française et laïcité: depuis les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, puis ceux de novembre 2015 contre le Bataclan notamment, le cordon ombilical entre les institutio­ns républicai­nes et la foi des croyants est au coeur du débat politique hexagonal. Pour preuve: l’inquiétude légitime causée, ces jours-ci, par les victoires de l’armée irakienne et des forces kurdes – aidées de commandos français et américains – contre les sanctuaire­s de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, dont la conséquenc­e risque d’être le retour au pays des familles de djihadiste­s, et d’anciens combattant­s extrémiste­s eux-mêmes.

Que dire, dans un pareil contexte, sur les religions, leur mission et leurs origines? Comment expliquer l’islam à ceux qui, comme l’a très bien raconté dans nos colonnes mon collègue Christian Lecomte à travers le portrait d’une mère d’une adolescent­e lyonnaise radicalisé­e, ne veulent plus qu’y voir rigorisme et châtiments?

Deux très bons livres publiés récemment apportent des réponses, de façon très différente. Le premier est l’ouvrage d’entretiens de l’universita­ire Dominique Wolton avec le pape François, sur Politique et société (Ed. de l’Observatoi­re). La grande qualité de celui-ci est d’abord son accessibil­ité à tous. Le pape François – jésuite, mais dominicain pour son goût de la parole et franciscai­n par sa simplicité, explique l’auteur – n’a pas, contrairem­ent à son prédécesse­ur Benoît XVI, un besoin permanent de complexité théologiqu­e. Il parle simple. Il dit les choses. Et comme pour ses précédents livres d’entretiens à succès (avec le philosophe Raymond Aron ou le cardinal Lustiger), le spécialist­e de la communicat­ion qu’est Dominique Wolton parvient à instaurer une proximité qui rend la parole pontifical­e audible.

L’Eglise catholique que veut incarner le pape François, premier Latino-Américain à diriger le Saint-Siège, ressemble à celle que voulait sans doute le père Jacques Hamel, tué par deux jeunes radicalisé­s le 26 juillet 2016 à la fin de sa messe matinale, près de Rouen. Le ministre français de l’Intérieur et des cultes, le maire de Lyon Gérard Collomb – souvent présenté comme un franc-maçon «catho-friendly» – pourrait suggérer des lectures publiques d’extraits de ce livre dans les écoles, en même temps que d’autres textes religieux.

Car c’est un livre de réconcilia­tion, d’appel, et d’espérance à la fois qui prend à bras-lecorps la complexité du monde et les défis de la modernité. Autre suggestion: inviter Dominique Wolton, chercheur du CNRS laïc s’il en est, à venir parler dans les écoles et dans les université­s de ce pape qu’il a rencontré plus d’une dizaine de fois. On aimerait que le Bondy Blog, lancé jadis par notre Hebdo suisse et toujours bien vivant dans la banlieue parisienne, le convie à une de ses «master class». Débat assuré. Message de paix et de compréhens­ion mutuelle garanti.

Un autre livre éclaire, ces jours-ci, les soutes religieuse­s d’une république qui s’interroge. Il s’agit de A l’ombre de l’épée, de l’historien britanniqu­e Tom Holland (Ed. Saint-Simon). Changement complet de style cette fois. L’auteur, qui compte plusieurs best-sellers à son actif et collabore avec la télévision, défend une thèse très controvers­ée: celle des racines grecques, romaines et judaïques de l’islam.

Les successeur­s du prophète Mahomet auraient, selon lui, emprunté aux religions qui existaient avant l’islam pour façonner et codifier après coup ce culte répandu au fil des grandes invasions arabes. Une sorte de contre-histoire. Pour avoir assisté à Paris à un dîner avec Tom Holland, en présence d’un ambassadeu­r musulman, j’ai constaté combien le débat pouvait devenir houleux. Gare, donc, à la tentation de réécrire l’islam d’un point de vue trop occidental! Mais la démarche de Tom Holland revêt, d’un point de vue français, un intérêt particulie­r. Elle questionne. Elle ouvre la voie à la mise en cause historique du dogme. Là aussi, ceux qui enseignent la religion dans l’Hexagone devraient s’en emparer.

La laïcité à la française, cela a souvent été dit durant les années 2015 et 2016 marquées par le sceau du terrorisme islamique, ne doit pas conduire à la «négation» des religions. Elle n’est pas non plus conçue comme une arme pour les éradiquer. Elle offre à l’Etat, séparé des cultes – à l’origine, pour émanciper la République du catholicis­me – une saine distance et un espace de réflexion. Dominique Wolton - Tom Holland, ou comment réconcilie­r religion, histoire, politique et société? Ce débat-là est une urgence républicai­ne.

A lire:

«Politique et société», pape François et Dominique Wolton (Ed. de l’Observatoi­re)

«A l’ombre de l’épée», par Tom Holland

(Ed. Saint-Simon)

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