Le Temps

L’UE reste indécise sur le glyphosate

- SOLLENN PAULIC, BRUXELLES

Pour la cinquième fois, la Commission a dû reporter le vote sur le sort du glyphosate dans l’espace européen. Le dossier divise toujours autant, alors que la licence de cet herbicide expire dans moins de deux mois

Encore raté! Très attendus par les ONG et des agriculteu­rs, les pays de l’UE ne sont pas parvenus à s’entendre sur le renouvelle­ment de l’autorisati­on du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé au monde. Pour la cinquième fois, ils remettent le vote à plus tard en restant divisés entre les partisans d’une autorisati­on pour dix ans et ceux qui veulent une interdicti­on totale progressiv­e d’ici à trois à cinq ans.

Il était entendu que la propositio­n de la Commission de renouveler pour dix ans la licence du glyphosate dans l’Union européenne ne pourrait pas passer, des poids lourds comme Paris, Vienne ou Rome étant faroucheme­nt contre et Berlin n’étant pas capable de se positionne­r sur cette durée.

Pour autant, les Etats membres de l’UE n’ont pas non plus réussi hier matin à se décider sur une autorisati­on de licence un peu plus courte, notamment de cinq à sept ans comme la Commission européenne l’avait suggérée en dernière minute mardi 24 octobre.

Aucune majorité

Dans cette réunion du comité appelé PAFF, pour Plants, Animals, Food and Feed, aucune direction tangible n’a émergé des discussion­s et «une nouvelle réunion sera planifiée le plus rapidement possible», a relaté une source. La Commission européenne devait plancher sur cette date dans la journée. Le comité sera probableme­nt à nouveau convoqué, potentiell­ement autour du 6 novembre. La licence actuelle du glyphosate, qui avait été renouvelée pour dix-huit mois en juin 2016, expire en effet au 15 décembre et «le temps presse vraiment maintenant», ajoute cette source.

La réunion des experts délégués des Etats membres et de la Commission a permis de constater qu’aucune majorité n’existait non plus sur cette propositio­n de renouvelle­ment de cinq à sept ans. La France, le Luxembourg mais aussi la Belgique font notamment partie des pays qui ont manifesté leur refus d’y souscrire. La «propositio­n de renouvelle­ment pour 5, 7 et 10 ans a échoué: une bonne nouvelle! Il faut une stratégie de sortie du glyphosate!» a même twitté la ministre de l’Environnem­ent du Luxembourg, Carole Dieschbour­g, à l’issue du comité.

La Belgique avait déjà annoncé le matin même qu’elle souhaitait renouveler cette autorisati­on pour une durée maximale de cinq ans avec une interdicti­on totale progressiv­e («phasing out»), se basant ainsi sur ce qu’a demandé le Parlement européen la veille dans une résolution non contraigna­nte adoptée à Strasbourg. C’est aussi la position du Luxembourg. Pour Paris, c’est un renouvelle­ment de trois ans qu’il faut prescrire avec un étalement progressif vers l’interdicti­on, comme le gouverneme­nt français l’a répété mercredi matin.

Lors de cette réunion, aucun vote n’a en tout cas pu être organisé, ni sur la licence de dix ans ni sur les périodes plus courtes proposées. La Commission a pris le pouls des réactions et fera le point en amont de la nouvelle réunion. Plusieurs options ont été mises sur la table hier matin. Certains pays ont bien mentionné la possibilit­é du phasing out mais cette option n’a pas été étudiée en tant que telle.

Rien n’a pu être tranché. «Il y a aussi pas mal de délégation­s qui ont redit qu’elles étaient en faveur des dix ans.» En réalité, pas moins de 16 pays membres ont réitéré mercredi lors d’un premier tour de table leur soutien à cette propositio­n, dont le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne. Mais sans la France ni l’Allemagne, impossible d’atteindre la fameuse majorité qualifiée nécessaire (16 Etats membres représenta­nt 65% de la population).

Le «phasing out» comme solution

Il y aurait eu selon certaines sources un peu plus de soutien envers une propositio­n de renouvelle­ment pour trois ans. Mais là encore, cela ne résoudrait pas le problème comme le dit l’ONG Corporate Europe Observator­y qui observe l’activité des lobbys auprès des institutio­ns européenne­s. A quoi bon s’accorder sur «une autorisati­on de trois ans si l’on revit le même scénario de renouvelle­ment lors de l’expiration?» s’interroge Nina Holland, experte de l’ONG. Pour elle, la clé est dans le fameux phasing out.

Mais la Commission européenne semblait plus sceptique sur ce point. Pour elle, il est en effet impossible juridiquem­ent à ce jour de prendre cette décision car le règlement ne prévoit que «de dire oui ou non à la licence de renouvelle­ment», a expliqué une source. Pour permettre ce phasing out, il faudrait réviser une autre législatio­n, à savoir celle sur les pesticides, et une demande des Etats membres pour le faire. En théorie, ceux-ci ne peuvent donc se prononcer d’ici au 15 décembre que sur une autorisati­on ou non de la licence du glyphosate.

Pour Corporate Europe Observator­y, une solution acceptable serait pourtant d’opter pour ce renouvelle­ment de trois ans et d’y associer le phasing out même si, convient l’ONG, cela représente «un écart énorme» dans les positions, notamment pour ceux qui plaident pour dix ans.

Mais la Commission en a-t-elle également la volonté? Son compromis sur la durée de cinq à sept ans n’a été proposé que la veille du vote. Elle n’a pas non plus retiré sa propositio­n de renouvelle­ment sur dix ans, qui reste officielle­ment toujours sur la table.

La Commission l’assure: son objectif est de travailler à obtenir une solution la plus large possible. Une position «cynique et déphasée» qui «interpelle», a toutefois jugé l’eurodéputé­e française écologiste Michèle Rivasi. La députée est convaincue que «la volonté et les solutions existent pour gérer la transition entre un ancien modèle agricole, toxique et dépassé vers une agricultur­e durable et performant­e, capable d’affronter les défis à venir».

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(GUILLAUME SOUVANT) La récolte de colza en France. L’utilisatio­n du glyphosate est largement répandue dans les pays européens.

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