Berne a mis fin à l’entraide judiciaire avec l’Egypte
L’organisation Public Eye dénonce l’insuffisance du mécanisme en vigueur, qui rend difficile la saisie des fonds illicites déposés par des ressortissants étrangers dans les banques suisses
Les caciques de l’ancien régime égyptien peuvent se réjouir, en particulier les deux fils du président déchu Hosni Moubarak, Alaa et Gamal, dont les comptes dans des banques suisses avaient été bloqués par ordre de la Confédération. En août dernier, le Ministère public a mis un terme aux procédures d’entraide judiciaire lancées au lendemain de la chute du raïs, en février 2011.
En septembre 2012, 700 millions de francs soupçonnés d’être le fruit de la corruption, du blanchiment et d’abus de pouvoir au nom d’une trentaine de personnes avaient été gelés. En décembre 2016, les avocats genevois de l’homme d’affaires égyptien Hussein Salem avaient réussi à faire libérer 180 millions, laissant un butin de près de 500 millions.
Dispositifs légaux insuffisants
Malgré la volonté de Berne de restituer l’argent aux autorités égyptiennes, les dispositifs légaux actuels sont insuffisants pour traiter les avoirs douteux de provenance étrangère, estime Public Eye, dans un rapport publié mercredi. L’ONG revendique une révision du mécanisme de l’entraide judiciaire depuis une dizaine d’années.
Dans un rapport fouillé et basé sur des documents inédits glanés en Suisse et en Egypte, l’organisation suisse et son partenaire égyptien EIPR lèvent le voile sur le dégel de 180 millions de francs en décembre dernier et déplorent que les titulaires des comptes bloqués échappent totalement à la justice tant en Suisse qu’en Egypte.
«Nous appelons à mettre en place des dispositifs alternatifs qui permettraient de saisir les avoirs douteux, déclare Olivier Longchamp, chargé du dossier Fiscalité et Finances chez Public Eye et l’un des auteurs du rapport. Dans l’après-Printemps arabe, presque un milliard de francs venant d’Egypte, de Libye et de Tunisie ont été gelés dans les banques suisses, mais pas un seul kopeck n’a refait le chemin en sens inverse.»
Pas d’informations de la part des autorités égyptiennes
La Suisse accorde l’entraide judiciaire à condition que le détenteur du compte bloqué en Suisse soit accusé et jugé coupable d’avoir acquis des biens de façon illégale dans son pays d’origine. Mais le rapport relève que les titulaires des comptes et les autorités égyptiennes ont adopté des accords extrajudiciaires de réconciliation. Dans le cas de l’homme d’affaires Hussein Salem, celui-ci aurait promis de ristourner les trois-quarts de ses avoirs à l’Etat. C’est sur cette base que son compte a été débloqué en décembre à Genève.
Dans son rapport, Public Eye affirme que le Ministère public de la Confédération a tenté en vain de recueillir des informations auprès des autorités égyptiennes à de nombreuses reprises. Selon l’ONG, Berne ignore si les accords extrajudiciaires entre titulaires de comptes et autorités ont été mis en oeuvre ou s’il s’agissait uniquement de tromper la justice suisse. «On peut désormais craindre que le reste des avoirs douteux soit bientôt laissé à la disposition d’anciens alliés du régime, en dépit des espoirs de la population égyptienne», conclut Olivier Longchamp.
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