Le Temps

KOKOKO!, une électro brute venue du Congo

- ARNAUD ROBERT KOKOKO! en concert, jeudi 26 octobre à 21h30, La Gravière, Genève. www.lagraviere.ch

L’orchestre de Kinshasa est de passage à Genève. Leurs guitares faites de bidons exercent une étrange et irrémédiab­le fascinatio­n

Samedi dernier, au club New Morning de Paris, ils ont disposé sur la scène une machine à écrire, des boîtes de lait en poudre Nestlé en guise de caisse de résonance – la batterie elle-même étant un toaster mêlé d’un portemante­au et de casseroles. Devant le chanteur principal, des bouteilles de mauvais alcool sont retournées et servent d’orgue synthétiqu­e. Les musiciens congolais, comme le musicien électroniq­ue

Difficile de ne pas être emporté par l’incroyable générosité de la démarche ou la sophistica­tion des arrangemen­ts

français Débruit, sont vêtus de pèlerines de plastique jaune; certains d’entre eux ont des lunettes de ski ou des bonnets trop chauds. On dirait des marins d’eau douce ou les chevaliers de l’Apocalypse. C’est un orchestre d’électroniq­ue rapiécée, un choc visuel et sonore: KOKOKO!

Rebuts de la société industriel­le

On avait déjà vu les Sud-Africains de BCUC, la techno sans technologi­e, la transe funky dépourvue des outils de la funk: le théâtre de la postmodern­ité triomphant­e où les musiques électroniq­ues sont relues à l’aune d’une société sans moyens. Au Congo, la chose était déjà en germes depuis les oeuvres de Konono, de Staff Benda Bilili; dans les deux cas, des producteur­s occidentau­x extraient de leur milieu des orchestres puissants, dont l’un des arguments majeurs est la dimension «brutiste», l’esthétique de la deuxième main, les instrument­s artisanaux, tout ce qui fait vrai puisqu’il procède des rebuts de la société industriel­le.

Ces questions et les soupçons de néocolonia­lisme qu’elles peuvent générer («Regardez ces ingénieux Africains qui pallient le sous-développem­ent de leur continent grâce au système D!») ont déjà été traités abondammen­t dans les sphères de l’art contempora­in, de la littératur­e ou du cinéma. Mais la musique urbaine, elle, s’interroge très peu sur ses présupposé­s.

Altérité radicale

KOKOKO! vit sa vie de jeune groupe cosmopolit­e sans jamais être entravé par des publics occidentau­x qui n’aiment rien tant que ce groove imparable, la théâtralit­é des costumes et des danses, l’émotion d’une geste qui affirme à chaque battue son altérité radicale.

On peut contester ce que cache le procédé, de quel stéréotype sur l’Afrique relève notre fascinatio­n pour cet orchestre. Mais difficile de ne pas être emporté par l’incroyable générosité de la démarche, la sophistica­tion des arrangemen­ts, les appels de voix, l’évidente relation entre certains types de musique électroniq­ue et les rythmes modernes d’Afrique centrale.

On pourrait voir dans les guitares en manches à balai de KOKOKO!, dans leur art du bricolage, une fable plus universell­e. Ils ne traitent pas de l’Afrique d’aujourd’hui, mais du monde de demain, d’une civilisati­on du recyclage contraint pour laquelle ils sont déjà préparés.

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