KOKOKO!, une électro brute venue du Congo
L’orchestre de Kinshasa est de passage à Genève. Leurs guitares faites de bidons exercent une étrange et irrémédiable fascination
Samedi dernier, au club New Morning de Paris, ils ont disposé sur la scène une machine à écrire, des boîtes de lait en poudre Nestlé en guise de caisse de résonance – la batterie elle-même étant un toaster mêlé d’un portemanteau et de casseroles. Devant le chanteur principal, des bouteilles de mauvais alcool sont retournées et servent d’orgue synthétique. Les musiciens congolais, comme le musicien électronique
Difficile de ne pas être emporté par l’incroyable générosité de la démarche ou la sophistication des arrangements
français Débruit, sont vêtus de pèlerines de plastique jaune; certains d’entre eux ont des lunettes de ski ou des bonnets trop chauds. On dirait des marins d’eau douce ou les chevaliers de l’Apocalypse. C’est un orchestre d’électronique rapiécée, un choc visuel et sonore: KOKOKO!
Rebuts de la société industrielle
On avait déjà vu les Sud-Africains de BCUC, la techno sans technologie, la transe funky dépourvue des outils de la funk: le théâtre de la postmodernité triomphante où les musiques électroniques sont relues à l’aune d’une société sans moyens. Au Congo, la chose était déjà en germes depuis les oeuvres de Konono, de Staff Benda Bilili; dans les deux cas, des producteurs occidentaux extraient de leur milieu des orchestres puissants, dont l’un des arguments majeurs est la dimension «brutiste», l’esthétique de la deuxième main, les instruments artisanaux, tout ce qui fait vrai puisqu’il procède des rebuts de la société industrielle.
Ces questions et les soupçons de néocolonialisme qu’elles peuvent générer («Regardez ces ingénieux Africains qui pallient le sous-développement de leur continent grâce au système D!») ont déjà été traités abondamment dans les sphères de l’art contemporain, de la littérature ou du cinéma. Mais la musique urbaine, elle, s’interroge très peu sur ses présupposés.
Altérité radicale
KOKOKO! vit sa vie de jeune groupe cosmopolite sans jamais être entravé par des publics occidentaux qui n’aiment rien tant que ce groove imparable, la théâtralité des costumes et des danses, l’émotion d’une geste qui affirme à chaque battue son altérité radicale.
On peut contester ce que cache le procédé, de quel stéréotype sur l’Afrique relève notre fascination pour cet orchestre. Mais difficile de ne pas être emporté par l’incroyable générosité de la démarche, la sophistication des arrangements, les appels de voix, l’évidente relation entre certains types de musique électronique et les rythmes modernes d’Afrique centrale.
On pourrait voir dans les guitares en manches à balai de KOKOKO!, dans leur art du bricolage, une fable plus universelle. Ils ne traitent pas de l’Afrique d’aujourd’hui, mais du monde de demain, d’une civilisation du recyclage contraint pour laquelle ils sont déjà préparés.
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