L’Europe des régions seraitelle en marche? Décryptage historique
La Lombardie et la Vénétie ont largement voté en faveur d’un processus d’autonomisation de leur région, qui devra donc être discuté avec Rome. Il s’agit avant tout de récupérer un peu de la manne fiscale nationale pour mettre en place des politiques propres à ces régions qui, il faut le préciser, sont les plus riches du pays, et donc les plus contributives à sa prospérité.
Venant après les événements en Catalogne, les résultats massifs de ce dimanche en Italie donnent l’impression qu’un délitement des nations européennes se prépare. Cependant, on ne retrouve pas ici les raisons qui existent ailleurs: ni peuplement spécifique, ni langue régionale distinctive, ni ancrage religieux différent, ni affinités historiques divergentes… Il s’agit plutôt d’un mouvement récent où les intérêts économiques prévalent. C’est le principe de la solidarité nationale qui est mis en cause, parce que les déséquilibres sont trop grands entre le Nord industrieux et le Sud moins développé. Sans oublier que le gouvernement central est en crise perpétuelle alors que les régions sont, pour la plupart, bien gérées, ce qui les place en position de force.
Dans le reste de l’Europe, au contraire, les mouvements de revendication autonomistes s’appuient sur de nombreuses spécificités, dont font toujours partie une langue différente et souvent un conflit de religion. L’histoire aussi est engagée: en Espagne, lors de la guerre de succession en 1714, la Catalogne prit parti pour les Habsbourg, qui furent défaits, contre les Bourbons qui s’emparèrent alors de Barcelone.
En Belgique, les problèmes découlent du fait qu’en 1830, la Belgique unitaire instaura le français comme langue officielle et que la bourgeoisie dirigeante était entièrement francophone. Plus tard, les Flamands, dont la revendication linguistique était ignorée, collaborèrent avec les Allemands durant la Première Guerre mondiale. Sans oublier que la Wallonie laïque s’opposait à une Flandre très cléricale. Quant à l’Ecosse, elle connut des guerres d’indépendance durant tout le XIIIe siècle. Plus tard, son traité d’union avec les Anglais en 1707 souleva une forte opposition mais fut conclu pour empêcher l’arrivée sur le trône d’un catholique dans ce pays protestant. Encore et toujours la religion… Cette union donna naissance à la Grande-Bretagne. Depuis, les velléités indépendantistes n’ont pas cessé bien que la dévolution reconnaisse une autonomie de gestion au pays de Galles, à l’Ecosse et à l’Irlande du Nord.
De leur côté, les Basques, qu’il ne faut pas confondre avec l’ETA de sinistre mémoire, ont obtenu le maximum d’indépendance de Madrid en 1979, y compris celui de lever l’impôt, ce que réclame à cor et à cri la Catalogne. Auparavant, ils avaient sans cesse lutté pour maintenir leur indépendance, choisissant durant la guerre civile le parti des insurgés, ce qui leur coûta très cher sous le régime franquiste. Désormais, la question semble réglée.
Quant à la Corse, sa position géographique particulière la fit passer de mains en mains, le plus souvent italiennes, et ce ne fut qu’à la fin du XIXe siècle que le français remplaça officiellement l’italien. Mais la vraie langue de l’île est le corse, bien qu’interdit de pratique durant tout le XIXe siècle. A l’Est et dans les Balkans, ce sont les frontières mal ajustées résultant des conflits du siècle dernier qui ont créé des poches nationalistes dont il faudra bien, un jour ou l’autre, tenir compte.
En cumulant toutes ces revendications autonomistes plus ou moins virulentes et plus ou moins justifiées, il faut admettre que la construction européenne a moins suscité le sentiment d’une appartenance continentale qu’elle n’a stimulé les ancrages régionaux. Le Comité des régions créé par le Traité de Maastricht a sans doute encouragé cette tendance à s’autonomiser des nations tutélaires, en profitant du parapluie offert par une entité plus grande, plus éloignée et apparaissant donc, à tort ou à raison, moins pesante. L’Europe des régions serait-elle en marche?