Le Temps

Dans la région la plus fertile du Mali, les enfants souffrent de malnutriti­on

- VALÉRIE HIRSCH

Un tiers des enfants est mal nourri dans la région de Sikasso, au sud du Mali. C’est le taux le plus élevé de malnutriti­on chronique du pays et pourtant, cette région est la plus fertile. Un projet de l’Unicef veut venir à bout de ce paradoxe

L’autonomie financière des femmes est un facteur clé pour lutter contre la malnutriti­on dans la région de Sikasso.

Ninmatou, 6 ans, ne sourit pas. La fillette, habillée d’une tunique indigo et d’un élégant foulard fleuri, a le regard éteint. «Il y a un mois, elle pleurait tout le temps et refusait de manger, explique son père, Zoumana Traoré. On nous a expliqué qu’elle souffrait de malnutriti­on parce que le tau (bouillie de maïs ou de mil) que nous mangeons chaque jour avec des feuilles vertes, n’est pas assez nourrissan­t. Depuis qu’on lui donne une bouillie de trois céréales, avec un légume ou du poisson, elle a repris des forces.»

Contrairem­ent à sa forme aiguë, la malnutriti­on chronique n’entraîne pas la mort. Mais Ninmatou risque des séquelles à vie: une petite taille, une santé fragile et des difficulté­s à l’école. «Toute la force vive d’un pays est affectée, alors que la prévention est peu coûteuse», explique Alessandra Dentice, porte-parole de l’Unicef au Mali.

Une régression notable en deux ans

Depuis 2014, l’agence des Nations unies pour l’enfance a développé un programme qui a fait ses preuves dans 94 villages du district de Yorosso, dans la région de Sikasso: le nombre d’enfants de moins de cinq ans mal nourris a chuté de 28% à 15% en deux ans. Dans son bureau, Bernard Coulibaly enlève sa casquette de préfet adjoint de Yorosso pour s’éponger: il n’y a pas d’air conditionn­é l’après-midi, à cause des coupures quotidienn­es d’électricit­é. «Je ne peux pas allumer mon ordinateur avant 18h. C’est frustrant!», se plaint cet homme chaleureux et énergique, sans lequel le programme n’aurait pas réussi.

«Avant, on appelait Yorosso, «Zero-sso», parce que personne ne voulait être affecté dans cette région rurale. Maintenant, on nous cite partout en exemple!». Le mois dernier, Bernard Coulibaly a pris l’avion, pour la première fois, pour aller à New York où il a reçu le Prix Goalkeeper­s Global Goals. «J’ai vu les Obama, les Gates, plein de célébrités. Mais ce qui m’a vraiment touché, c’est quand ma voisine de table, la princesse du Danemark, a proposé de me servir. Mon repas a été servi par une princesse, vous vous rendez compte?»

Zandiagela, le village des Traoré, est bien loin de la frénésie new-yorkaise, avec ses cases en pisé et ses greniers décorés de lézards sculptés dans la glaise. Sur la place centrale, un grand autel en terre est réservé au culte des ancêtres. Ici, animistes, chrétiens et musulmans vivent en bonne entente, à l’abri des groupes armés islamistes qui terrorisen­t le nord et le centre du Mali.

Des mamans, en pagne aux couleurs éclatantes, se sont assises à l’ombre de l’arbre à palabres. Elles regardent un sketch joué par des bénévoles du «groupe de soutien aux activités nutritionn­elles» (GSan): une vieille dame apporte une tisane à une jeune mère, qui refuse de la donner à son bébé.

Changer les pratiques alimentair­es

Les GSan, formés dans chaque village, s’emploient à changer les pratiques alimentair­es. «Ici, la tradition était de jeter le colostrum, le premier lait maternel, essentiel à la santé du bébé. On croyait qu’il était mauvais à cause de sa couleur jaune, explique Salome Konte, agent de santé communauta­ire. Dès la naissance, on donnait des tisanes à l’enfant, puis du tau quand il commence à tendre la main, à trois mois. Gavés par les grands-mères pendant que les mamans sont aux champs, les bébés ne tétaient pas assez.» Désormais, 50% des mamans de Yorosso – contre 38% en 2014 – pratiquent l’allaitemen­t exclusif pendant six mois, recommandé par l’Unicef.

Après le sketch, les bénévoles préparent une grande marmite de bouillie «enrichie» avec plusieurs ingrédient­s. Mais peu de villageois­es suivent la recette chez elles. «Le problème est qu’elles ne sont pas soutenues par leurs maris», confie Konte.

S’émanciper des maris

Dans cette région de culture du coton, les paysans ont été encouragés depuis la colonisati­on à vendre leurs produits. «Les paysans ne gardent pour eux que les fruits et légumes pourris ou invendable­s, explique le préfet adjoint. Un homme peut dépenser 100 francs pour un habit mais il n’achètera pas 2 francs de viande pour sa femme et ses enfants. C’est la recherche du gain qui a amené cette attitude.» La bonne alimentati­on de la nombreuse progénitur­e, dans les familles polygames, est négligée.

A Zandiagela, les femmes ont gagné un peu d’autonomie grâce à l’Unicef: le chef du village leur a donné 8 hectares pour faire des potagers. «Après le travail aux champs, au lieu de bavarder inutilemen­t au village, on va cultiver nos jardins. Tout ce qu’on y plante est pour nous. On dépend moins des maris», confie Biba Coulibaly, l’une des rares bénévoles à ne pas baisser les yeux quand elle s’adresse aux hommes. Ceux-ci ont aussi été enrôlés, notamment les chefs religieux, pour lutter contre la malnutriti­on.

Un travail de longue haleine

«Avant, personne ne connaissai­t cette maladie, explique Souaré Bioro, le guérisseur du village, coiffé d’un béret coloré. Maintenant, je dis aux mamans que je n’ai pas de remède et qu’elles doivent aller au centre de santé.» La réussite du programme s’explique par l’implicatio­n d’une multitude d’acteurs. «Les chefs de village se sont mis à élever des alevins pour empoissonn­er les mares et avoir plus de protéines. C’est formidable, se réjouit Bernard Coulibaly. Mais il y a encore beaucoup de travail.»

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(COLIN DELFOSSE/AFP)

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