Les étonnants bienfaits du gribouillage. Nos offres d’emploi
Considéré comme anti-intellectuel, le gribouillage facilite pourtant la concentration et la mémorisation
En 2005, le Forum économique mondial de Davos a été le théâtre d’un curieux incident. Au terme d’une conférence de presse, des employés ont ramassé ce que les participants avaient laissé derrière eux et ont trouvé une feuille de papier qui, de façon quelque peu surprenante, a suscité un petit scandale: un gribouillage abandonné par Tony Blair, alors premier ministre britannique. «A la suite de cette découverte, le gribouillage de Tony Blair a été psychanalysé par des graphologues, qui ont affirmé que le premier ministre était «agressif», «chaotique» et même «mégalomane», relate Sunni Brown dans un livre récemment paru aux Editions Diateino, Le gribouillage, c’est tout un art. C’était un homme sous contrainte, hanté par des symboles phalliques, et qui ne devrait sans doute pas être à la tête d’un pays.»
Peu de temps après, une vérité inattendue a cependant éclaté: le gribouillage n’était pas de la main de Tony Blair mais de celle de Bill Gates. «Cette révélation a naturellement conduit à revenir sur les conclusions qui avaient été tirées, et a relancé le débat sur la graphologie comme pseudoscience.» Il n’en reste pas moins que les chefs d’Etat et les leaders économiques et politiques de ce monde ont tous reçu à cette occasion un avertissement: attention à ne pas gribouiller n’importe où, on vous observe!
Le gribouillage serait-il dès lors la prérogative des enfants? Tous les parents le savent, ces derniers aiment s’emparer de livres qu’ils manipulent dans tous les sens pour en barbouiller les pages. Le plus souvent, l’interdit parental ne tarde toutefois pas à intervenir. «Les parents craignent à tort que mettre entre les mains d’un jeune enfant des livres pour assouvir sa passion de tripoter et de gribouiller […] fera de lui un saboteur, un irrespectueux de l’écrit», analyse Rose Gaetner dans une publication intitulée De l’imitation à la création.
A l’école, c’est le même refrain. Un élève qui gribouille son cahier pendant que l’enseignant donne sa leçon sera aussitôt étiqueté de cancre. C’est oublier que les enfants apprennent de toutes sortes de manières, et pas seulement en lisant, en écrivant et en écoutant passivement. A cet égard et de façon intéressante, de nombreuses études ont démontré que le gribouillage, loin de distraire, facilite la mémorisation et le rassemblement d’informations mais aussi l’insaisissable état de flow.
Un état d’écoute absolue
Le Dr Jackie Andrade de l’université de Plymouth, au RoyaumeUni, a par exemple étudié des volontaires qui écoutaient une conversation téléphonique rébarbative. Certains avaient le droit de gribouiller, d’autres non. Elle a découvert que lors d’un test surprise de mémorisation, les gribouilleurs se souvenaient de 29% de contenu de plus que ceux qui n’avaient pas gribouillé. Autrement dit, si les individus se mettent à gribouiller lors de conversations complexes, pénibles ou interminables, c’est pour rester présents, et non pour s’évader. «L’on recourt souvent au gribouillage précisément quand on est en position d’écoute, relève Sunni Brown. Les gens sortent leurs crayons et leurs stylos quand ils sont dans une salle de classe, en réunion, à une conférence, ou qu’ils écoutent la radio ou la télévision. Ils ont besoin de gribouiller pour se concentrer sur ce qui se dit, et ils se souviennent mieux de ce qu’ils ont entendu quand on les laisse faire.»
Jesse Prinz, professeur de philosophie à l’Ecole doctorale de l’université de New York, partage cet avis. «Le gribouillage empêche notre esprit de divaguer tout en empêchant de trop réfléchir à ce que l’on entend, confie-t-il à Huffington Post. […] A tel point que j’ai vraiment du mal à me concentrer si je ne gribouille pas. En ce qui me concerne, il semble que le griffonnage m’aide à être plus réceptif à l’information.»
Une meilleure compréhension
Outre la mémorisation, cette habitude permet également de mieux appréhender des concepts compliqués. Sunni Brown cite le cas de Virginia Scofield, célèbre immunologiste, récompensée pour une découverte importante et inattendue sur la transmission du VIH. Lorsque celle-ci était étudiante, «à l’hiver 1969, elle devait comprendre, retenir et assimiler les détails de la chimie organique et le temps jouait contre elle. Virginia avait essayé et épuisé toutes les méthodes traditionnelles d’apprentissage qu’elle connaissait (surligner, prendre des notes, répéter). Elle décide alors de recourir à un outil aussi puissant que primitif: le gribouillage.» Le futur docteur gribouille non sans une certaine gêne des représentations visuelles rudimentaires de tous les concepts exposés dans son manuel de chimie organique. Une technique qui s’avère gagnante puisqu’elle réussit haut la main son examen. Comment expliquer ce phénomène? Si «la lecture et l’écriture sont des outils ancestraux de l’humanité, ils n’utilisent cependant pas au mieux le câblage de notre cerveau plus ancien et plus puissant, qui privilégie les informations spatiales et visuelles», explique Sunni Brown.
«Le gribouillage empêche notre esprit de divaguer tout en empêchant de trop réfléchir à ce que l’on entend»
JESSE PRINZ, PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE À L’ÉCOLE DOCTORALE DE L’UNIVERSITÉ DE NEW YORK
Autrement dit et comme le notait déjà le poète lyrique grec Simonide de Céos, à qui l’on attribue l’invention de deux de nos techniques de mémorisation les plus usitées, tout peut être gravé dans l’esprit et conservé en ordre simplement en le convertissant en une série d’images visuelles que l’on dispose dans l’espace. «Le Dr Scofield n’a jamais oublié qu’une représentation simple est puissante et facile à mémoriser même si on dirait qu’elle a été dessinée par un chat sur une patinoire», poursuit Sunni Brown. Pendant les décennies où elle a enseigné dans plusieurs grandes universités californiennes, Virginia Scofield a d’ailleurs utilisé avec succès le gribouillage comme outil pédagogique. «Elle demandait à ses étudiants (qui pour la plupart ne prenaient que des notes strictement écrites) de reproduire ce qu’elle dessinait au tableau et d’utiliser des images dans leur prise de notes, poursuit Sunni Brown. Résultat? Le nombre d’étudiants récoltant un A à l’examen a augmenté significativement alors qu’ils étaient partis pour échouer.» ▅