Le Temps

Pesticides, OGM, bio: l’agricultur­e du futur selon Syngenta

Cette semaine, l’Union européenne a reporté sa décision sur une possible interdicti­on du glyphosate de Monsanto, un herbicide cancérigèn­e selon certaines études. Le directeur général de Syngenta, Erik Fyrwald, prend position en donnant sa vision de l’agri

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BENOIT-GODET ET ALAIN JEANNET @SBenoitGod­et et @alainjeann­et

Le patron du groupe bâlois, Erik Fyrwald, défend une agrochimie sous le feu nourri des critiques. Et livre sa vision de l’agricultur­e du futur

«Nous ne vendons pas de glyphosate, donc nous vous suggérons de vous adresser à Monsanto.» Dans une interview accordée au Temps, le patron de Syngenta se pose en défenseur de l’agrochimie, sur la base d’arguments scientifiq­ues et non uniquement politiques. Cet entretien a lieu dans un contexte bien particulie­r, avec le débat enflammé sur l’interdicti­on du glyphosate en Europe, accompagné­e d’une intense bataille des lobbies – dans les deux camps.

Sans surprise, le patron du groupe bâlois pose aussi un regard critique sur le marché de l’agricultur­e bio: «La plupart des gens pensent que ces produits ont une meilleure valeur nutritive, mais cela est davantage de la publicité qu’un fait réel. Par ailleurs, la production bio ne produira jamais assez pour nourrir le monde.» Sur le dossier des OGM, il explique que 8% des ventes du groupe concernent ce genre de produits. Et là aussi sans surprise, il tient un discours assez radical. «Pour moi, c’est plus sain que de mettre des tonnes de pesticides sur des céréales bio.»

Enfin, il détaille sa vision de l’agricultur­e du futur, où les nouvelles technologi­es auront une place grandissan­te: «Nous allons vers un monde où les petits agriculteu­rs, les entreprise­s agroalimen­taires, les revendeurs et les consommate­urs seront de plus en plus connectés.»

Il est depuis 2016 le nouveau directeur général de Syngenta, l’entreprise bâloise rachetée par le géant chinois de l’agrochimie ChemChina pour 43 milliards de dollars. Comment Erik Fyrwald voit-il l’avenir de l’agroalimen­taire à dix ou quinze ans? Comment compte-t-il répondre aux inquiétude­s de la population et aux critiques des ONG? En définissan­t des critères de durabilité sur des bases scientifiq­ues et non pas politiques.

Quel est l’avenir du glyphosate, toujours aussi contesté, même si l’Union européenne n’a pas rendu de décision cette semaine sur son éventuelle interdicti­on? Et quel en sera l’impact sur vos affaires? Nous utilisons du glyphosate parmi d’autres ingrédient­s dans certains de nos produits, mais ce n’est pas un gros enjeu économique pour Syngenta. Au final, les produits qui contiennen­t cette molécule ne représente­nt qu’à peine 2% de nos ventes.

A la différence de Monsanto pour qui cet herbicide représente près d’un tiers de son chiffre d’affaires… Au-delà du cas particulie­r du glyphosate, la vraie question est ailleurs. Nous sommes inquiets qu’en Europe le processus réglementa­ire devienne trop politique. Il faut évidemment s’interroger sur les possibles effets nocifs d’un pesticide. Mais sur une base scientifiq­ue. Nous avons actuelleme­nt une discussion similaire sur les néonicotin­oïdes et la santé des abeilles. Si les néonicotin­oïdes étaient interdits, les agriculteu­rs devraient utiliser d’anciens pesticides moins ciblés qui seraient nocifs pour l’environnem­ent.

D’accord, mais cette substance est-elle oui ou non nocive pour les abeilles? Il y a de nombreux facteurs qui affectent la santé des abeilles. Le rôle des pesticides reste modeste. Il est donc étonnant que cette discussion porte principale­ment sur les pesticides, en particulie­r les néonicotin­oïdes. Une étude de la Commission européenne qui se base sur des études de terrain et des rapports d’apiculteur­s montre qu’en effet des maladies comme le Faulbrut américain ou des parasites comme l’acarien Varroa et le manque de bonne nourriture ont des effets bien plus néfastes sur les abeilles. Voilà pourquoi même des scientifiq­ues qui critiquent les néonicotin­oïdes s’opposent à leur interdicti­on tant qu’il n’y a pas de bonnes alternativ­es à proposer aux paysans.

Que se passerait-il si l’Union européenne finissait néanmoins par bannir le glyphosate? Il existe un grand nombre d’autres herbicides.

Sont-ils moins efficaces? Oui. Ils sont moins efficaces et plus sélectifs. Et ils doivent être utilisés différemme­nt. Mais on trouvera des solutions si cette substance devait être interdite. Ce qui me semble le plus important, c’est que les régulateur­s européens aient une approche basée sur la science.

Vous parlez de décisions prises sur des bases scientifiq­ues. Il existe de nombreux rapports qui documenten­t les effets néfastes du glyphosate. Pour la santé. Et pour l’écosystème en général. Comme par exemple cette étude récente qui montre comment des concentrat­ions incroyable­s de cet herbicide dans le fleuve Mississipp­i ont abouti à la destructio­n de la vie

marine dans le golfe du Mexique…

Nous ne vendons pas de glyphosate donc nous vous suggérons de vous adresser à Monsanto. Dans le cas du Mississipp­i, le vrai problème est la concentrat­ion considérab­le de fertilisan­ts qui favorisent l’apparition d’algues, qui retiennent le soleil et qui provoquent en effet la disparitio­n d’espèces marines. Monsanto se trouve actuelleme­nt sous les feux de la critique. Mais l’ensemble de l’industrie est concerné… Chez Syngenta, nous avons évolué dans notre manière de procéder. D’abord en cherchant le dialogue avec les ONG, qui se sont historique­ment focalisées sur des produits particulie­rs. Ce que nous essayons de faire, c’est d’écouter ce qu’elles ont à dire pour ensuite élargir le débat. Il s’agit au final de déterminer ce qui est nécessaire si l’objectif est à la fois de nourrir la population mondiale et de pratiquer une agricultur­e véritablem­ent durable. On ne devrait pas miser sur une seule façon de cultiver. Il faut une vue d’ensemble.

Quelles sont les idées reçues qui parasitent la discussion, selon vous? Si vous faites un sondage, 95% des gens assimilent agricultur­e bio et agricultur­e durable. Avec comme corollaire de vouloir remplacer tous les produits chimiques par des pesticides organiques. Il faut être clair: tout ce qui est naturel n’est pas forcément bon pour la santé et pour l’environnem­ent. La ciguë est un produit naturel, mais c’est aussi un poison.

Comment jugez-vous l’industrie du bio en pleine croissance? C’est une industrie intéressan­te car les consommate­urs paient un prix élevé pour le bio. Nous vendons à ce secteur nos produits, que ce soit des pesticides ou des semences. Et nous respectons bien sûr la liberté de choisir des consommate­urs. Cependant ils ne savent souvent pas que l’industrie organique utilise des pesticides. En Suisse, le bio représente 8% de la production et au niveau global 3%. Cela reste donc un secteur de niche bien que le marketing soit très bon. La plupart des gens pensent que ces produits ont une meilleure valeur nutritive, mais cela est davantage de la publicité qu’un fait réel. Par ailleurs, l’agricultur­e bio ne produira jamais assez pour nourrir le monde. Vraiment? Des études menées par les gouverneme­nts ne démontrent pas de bénéfices additionne­ls mais les gens sont prêts à payer plus cher pour ces produits. Tant mieux, c’est bon pour Syngenta et les agriculteu­rs. Le défi tient au fait que les parcelles organiques ont 40% de rendement en moins et ont besoin d’être traitées plus souvent.

Vous parlez d’échanges avec les ONG. Ne faut-il pas plutôt parler d’un dialogue de sourds? Au contraire, la qualité de la conversati­on s’améliore. Nous coopérons et sommes partenaire­s avec des ONG telles que USAID, Nature Conservanc­y et beaucoup d’autres. Au World Economic Forum (WEF), l’an passé, je me trouvais à une session sur le réchauffem­ent climatique où il a été rappelé que l’agricultur­e génère 30% des émissions de CO2. J’ai participé ensuite à un débat sur la crise mondiale de l’approvisio­nnement en eau douce consommée à 70% par l’agricultur­e. On ne réglera pas les grands problèmes environnem­entaux de la planète sans se mettre d’accord sur une définition de l’agricultur­e durable. Pour la première fois, à Davos, j’ai entendu des représenta­nts d’ONG pourtant traditionn­ellement très anti-technologi­es poser la question: est-il bien vrai que les OGM peuvent contribuer à diminuer les émissions de gaz à effet de serre? Les positions et les mentalités évoluent.

«Les produits qui contiennen­t du glyphosate ne représente­nt qu’à peine 2% de nos ventes»

Pourquoi investir dans une compagnie de drones en Valais? C’est excitant car cela aidera les cultivateu­rs à utiliser le bon produit au bon endroit avec moins de dérive que d’autres techniques d’épandage. Typiquemen­t dans des champs très humides et des endroits difficiles d’accès pour les tracteurs comme les champs de vignes, ce sera un outil très utile car très précis pour combattre les maladies fongiques, les insectes et les mauvaises herbes. Nous croyons dans l’agricultur­e durable avec une utilisatio­n de pesticides plus sûrs et en moins grande quantité. La technologi­e des drones correspond à nos objectifs et elle permet aux paysans d’être plus rentables et mieux prendre soin de l’environnem­ent.

Paradoxe, cette technologi­e incite vos clients à utiliser moins de produits? Oui, une telle technologi­e permet d’utiliser en moyenne 30% de produits en moins en fonction du type de cultures. Le traitement par drones est particuliè­rement efficace pour les vignes et les bananiers, par exemple. Vous pouvez coupler en plus cela avec une cartograph­ie des cultures par les drones qui vous permet de traiter les plantes qui en ont besoin et pas l’intégralit­é d’une parcelle.

«C’est plus sain [de produire des OGM] que de mettre des tonnes de pesticides sur des céréales bio»

Que faites-vous pour encourager une agricultur­e plus productive tout en diminuant les effets négatifs qu’elle a entraîné durant des décennies? Notre but est d’aider les agriculteu­rs à nourrir le monde en toute sécurité tout en prenant soin de notre planète. Nous avons un plan au niveau mondial, le Good Growth Plan, qui comprend la formation de 17 millions d’agriculteu­rs, bientôt 20 millions, et la plupart des propriétai­res de petites propriétés, afin d’améliorer leurs pratiques. De notre côté, nous travaillon­s sur de nouvelles variétés de semences, plus résistante­s aux insectes, aux maladies, et des produits de protection plus ciblés et efficaces avec des volumes plus restreints.

Quelles sont les avancées les plus notables dans ce domaine? Au niveau des semences, nous avons développé par exemple un maïs beaucoup moins exigeant en eau. Nous développon­s aussi en France un blé hybride qui va améliorer le rendement des parcelles de 10 à 50%, selon les conditions. Il sera sur le marché en 2021.

Ce ne sont pas des OGM? Non, c’est une approche moderne de la culture des céréales hybrides où l’on travaille sur les marqueurs génétiques de la plante. Mais ce ne sont pas des OGM. Par exemple, dans les semences de légumes, les

OGM n’existent pas mais il y a énormément de travail sur l’hybridatio­n avec de formidable­s succès. Nous produisons ainsi de petites tomates qui s’appellent les «tommies» avec un goût plus sucré. Nous travaillon­s avec un partenaire qui les vend dans un emballage attractif et les enfants peuvent prendre cela pour leur goûter plutôt que des bonbons. C’est un légume sain, avec un goût et une apparence plus attractifs. Les bénéfices sont énormes pour la santé publique.

Que représente­nt les OGM pour Syngenta? Les OGM représente­nt 8% de nos ventes. Avec ce type de produits, beaucoup moins de pesticides sont utilisés. Vous prenez un gène d’une bactérie et le mettez dans la plante, qui va produire sa propre protection contre les insectes. Pour moi, c’est plus sain que de mettre des tonnes de pesticides sur des céréales bio. Mais nous adaptons notre offre en fonction de ce que veulent les pays pour leurs consommate­urs.

Quel impact la numérisati­on a-t-elle sur votre domaine d’activité? Elle représente d’énormes opportunit­és. Mais aussi des menaces si vous ne faites pas les choses correcteme­nt. Les agriculteu­rs ont désormais des logiciels et des machines qui leur permettent de savoir exactement quelles semences ils plantent et à quels endroits. Ils savent quelles quantités de pesticides et de fertilisan­ts ils utilisent. Ils peuvent collecter des échantillo­ns du sol et corréler toutes ces données avec la météo. Donc, au final, mesurer et comparer de manière efficace les performanc­es de leurs différente­s parcelles.

Quel est l’état de la réflexion en Chine sur les questions de durabilité? Je vais très régulièrem­ent en Chine depuis 1990. Jusqu’au tournant du millénaire, il s’agissait pour les Chinois de rattraper leur retard économique. Mais les temps changent. La population chinoise comme le gouverneme­nt sont très inquiets de la pollution de l’environnem­ent, ils sont désormais très attentifs à la qualité de ce qu’ils mangent. Ils veulent aussi réduire l’utilisatio­n des pesticides. Si ChemChina a racheté Syngenta, c’est pour que nous les aidions dans cette transition. Vous venez d’investir près de 7 millions de francs dans un nouveau centre de recherche en Valais. Et en Chine? Nous sommes très attachés à la Suisse, qui reste notre base, notamment en matière de recherche fondamenta­le. Nous valorisons les avantages de nos sites en Suisse tels que la stabilité politique et la neutralité, les taxes, les droits d’auteur et les lois du travail, qui nous permettent d’accéder facilement aux talents du monde entier. Cela dit, le niveau de formation en biologie et en chimie est également très élevé en Chine. Comme les investisse­ments du gouverneme­nt dans la recherche. Voilà pourquoi nous allons encore resserrer nos liens avec les université­s et les instituts chinois. Avec comme objectif de tirer au mieux profit de leurs technologi­es. Nous sommes particuliè­rement intéressés par l’effort massif qui est consenti dans la recherche en matière d’édition génétique. La technologi­e Crispr, en particulie­r, va révolution­ner notre branche comme beaucoup d’autres.

Etiez-vous dans l’entreprise avant le rachat de Syngenta par ChemChina? Oui, je suis arrivé à Bâle en 2016.

Comment est-ce de travailler pour un actionnair­e chinois? C’est très intéressan­t. Les dirigeants de ChemChina ont payé 43 milliards de dollars pour Syngenta mais ils n’ont pas placé un seul de leurs dirigeants dans l’entreprise. Ils ont deux sièges sur huit au conseil d’administra­tion, dont la présidence. Ils posent beaucoup de questions mais n’intervienn­ent jamais dans la marche quotidienn­e des affaires.

«ChemChina pose beaucoup de questions mais n’intervient jamais dans la marche quotidienn­e de nos affaires»

Quelle est votre vision de l’agricultur­e dans dix ou quinze ans? Nous allons vers un monde où les petits agriculteu­rs qui utilisent nos technologi­es, et où les entreprise­s agroalimen­taires, les revendeurs et les consommate­urs seront de plus en plus connectés. Ces derniers voudront savoir ce qui est bon pour eux, en fonction de leur bagage génétique. Avec la possibilit­é de produire une nourriture qui sera de plus en plus sur mesure. Ces mêmes consommate­urs seront aussi très attentifs aux critères de durabilité. Un sacré défi et aussi une belle opportunit­é.

Encore faudra-t-il s’entendre sur une définition de la durabilité. Il existe un label «Fairtrade», par exemple, mais pas de label de durabilité? L’industrie, les ONG responsabl­es, les milieux agricoles et académique­s doivent s’entendre sur une définition et sur les moyens principaux pour avoir une agricultur­e durable. Et il faut que, de son côté, le régulateur prenne ses décisions sur une base scientifiq­ue. Nous avons en effet un besoin urgent de ce type de discussion.

 ?? (SIMON DAWSON/ BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) ?? Erik Fyrwald, directeur général de Syngenta: «Le bio est une industrie intéressan­te car les consommate­urs paient un prix élevé pour ces produits. Nous vendons à ce secteur nos produits, que ce soit des pesticides ou des semences.»
(SIMON DAWSON/ BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) Erik Fyrwald, directeur général de Syngenta: «Le bio est une industrie intéressan­te car les consommate­urs paient un prix élevé pour ces produits. Nous vendons à ce secteur nos produits, que ce soit des pesticides ou des semences.»

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