Le Temps

Ces histoires qui font aimer l’Histoire

De «Rome» à «Game of Thrones» ou «Vikings», les séries télévisées historique­s rencontren­t un succès flamboyant auprès du public. Mais aussi dans les université­s, où elles redonnent aux étudiants l’envie de plonger dans l’Histoire

- NICOLAS DUFOUR, VIRGINIE NUSSBAUM ET ADRIA BUDRY CARBO @NicoDufour @AdriaBudry @VirginieNu­ss

Un succès couru d’avance. A Genève, la journée Game of Thrones organisée lundi par la Maison de l’histoire et Le Temps devrait aisément remplir le vaste auditoire d’Uni Bastions. Il y a trois ans, la venue au Festival internatio­nal du film fantastiqu­e de Neuchâtel (NIFFF) de George R. R. Martin, père de la saga du Trône de fer, avait déjà attiré les foules.

Quand il ne massacre pas ses personnage­s sur papier, l’écrivain à la casquette clame haut et fort son goût pour l’Histoire, la grande, citant notamment Les Rois maudits de Maurice Druon. Avec son univers «médiéval-fantastiqu­e», la série Game of Thrones symbolise l’engouement du public pour les séries s’inspirant, directemen­t ou indirectem­ent, du passé. Cet été, pour la septième saison, la RTS a capté 100000 fidèles romands, 10% de plus par rapport à la précédente. Entre les deux saisons, le visionneme­nt à la demande a bondi de 16000 à 30000 démarrages des vidéos. Sans parler évidemment du piratage.

Autre bulldozer de la culture populaire, Vikings a dépassé sur History les quatre millions de téléspecta­teurs. Début décembre, la chaîne câblée dévoilera Knightfall, saga médiévale à gros budget sur les croisades. L’appétit pour les séries historique­s ne s’arrête pas aux combats en armure. Ces dernières années, il y eut la brillante Rome, puis des variations sur les Borgias. Avec The Crown retraçant le règne d’Elisabeth II, Netflix dépense 12 millions de francs par épisode, preuve que la plateforme américaine croit au genre. Les auteurs s’emparent aussi de l’Histoire immédiate comme la Guerre froide dans The Americans ou Deutschlan­d 83.

Un «produit d’appel»

En Suisse romande, les librairies ont vu la curiosité des lecteurs s’aiguiser au fil de la diffusion des séries. Les romans de fantasy s’inspirant du Moyen Age sont évidemment très à la mode. «Beaucoup de jeunes accros à Game of Thrones souhaitent découvrir d’autres récits qui parlent de capes et d’épées. Nous en avons dans nos rayons, et ça fait un carton», note Carlos Fernandez de la Librairie du Boulevard, à Carouge. Mais par capillarit­é, les livres d’histoire purs et durs bénéficien­t des succès du petit écran. «A la suite de la série Vikings, j’ai enrichi l’assortimen­t sur ce thème. Nous avons vendu énormément d’ouvrages, et ils continuent de partir régulièrem­ent», se félicite Xavier Huberson, responsabl­e du rayon histoire à Payot Rive Gauche. «Lorsqu’une série est ancrée dans une période précise, cela donne envie aux gens d’approfondi­r leurs connaissan­ces historique­s mais aussi de démêler la fiction de la réalité», poursuit le libraire, qui imagine créer un jour un rayon dédié.

Les historiens saluent eux aussi cette appétence pour le passé raconté sur petits écrans. Nicolas Meylan, chargé de cours à l’unité d’histoire des religions à l’Université de Genève et habitué des colloques en petit comité, se souvient d’une conférence portant sur Game of Thrones il y a deux ans. «Elle avait réuni 200 personnes. Je n’avais jamais vu autant de monde. J’imagine que les étudiants étaient contents de m’entendre parler de choses qui les touchaient un peu plus personnell­ement.»

L’historien neuchâtelo­is Daniel Jaquet a vu lui aussi un «gonflement des effectifs» dans les amphis. «Tous les médiéviste­s surfent sur la vague. La série est devenue un produit d’appel.» Maître assistant à l’Université de Lausanne, Roberto Biolzi y puise de la matière pour son cours sur la guerre au Moyen Age, pour «aborder les alliances matrimonia­les, ou les stratégies guerrières». «Cela parle aux étudiants. Et George R. R. Martin revendique de réelles inspiratio­ns dans l’époque médiévale.»

L’influence de la fiction sur les étudiants demeure un phénomène complexe. L’école des sciences criminelle­s de l’Université de Lausanne constitue cependant un précédent intéressan­t. Dans les années 2000, le triomphe écrasant des Experts, soit les aventures d’une équipe de policiers scientifiq­ues, a vraiment suscité des vocations en criminolog­ie et en médecine. Durant l’année 2005-2006, l’école lausannois­e enregistra­it un pic historique de ses inscriptio­ns, même si les nouveaux venus confiaient avoir un vague intérêt pour la matière auparavant.

Les universita­ires se méfient toutefois de l’utilisatio­n de Game of Thrones comme «produit d’appel». Le médiéviste Daniel Jaquet refuse de consacrer à la série un cours entier. «Une fois qu’on a aguiché le chaland, on fait quoi derrière? Moi, je veux continuer à étudier le combat médiéval. Et ça, c’est pas la même chose que le combat façon Game of Thrones.»

Réalisme historique

Les créateurs de séries sont eux aussi de grands amateurs d’Histoire, et très fiers du réalisme de leurs oeuvres. Au Geneva Internatio­nal Film Festival (GIFF), alors encore nommé Tous Ecrans, Michael Hirst, père de Vikings, disait pis que pendre de Game of Thrones et se targuait du travail de recherche et du réalisme de sa série, soucieuse de traquer au plus juste les destins de ses conquérant­s nordiques.

Sauf que… «Vikings mélange bien des personnage­s historique­s et des périodes», lance, critique, Roberto Biolzi. A l’inverse, Game of Thrones a davantage de références solides: «On voit bien les parallèles, les Huns derrière les Dothraki, les Vikings au nord, les Byzantins au sud, et la richesse des cités italiennes clairement évoquée.» Mais alors, quid de la dimension fantastiqu­e? «L’associatio­n des dragons au Moyen Age est une réalité culturelle depuis le XIXe siècle. Il y a là un imaginaire collectif puissant.» Un imaginaire que Game of Thrones ragaillard­it pour les nouvelles génération­s du XXIe siècle.

«Les Huns derrière les Dothraki, les Vikings au nord, les Byzantins au sud, et la richesse des cités italiennes clairement évoquée» ROBERTO BIOLZI, HISTORIEN

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(HISTORY) Diffusée par la chaîne câblée History, «Vikings» a dépassé les quatre millions de téléspecta­teurs.

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