Le Temps

Les indépendan­tistes catalans à l’école des Balkans?

- DÉRENS ET LAURENT GESLIN JEAN-ARNAULT

L’éclatement de la Yougoslavi­e et les processus qui ont mené aux indépendan­ces des république­s de l’ancienne fédération pourraient-ils inspirer les indépendan­tistes catalans? A Barcelone, on observe avec attention les précédents du Kosovo et de la Slovénie

Cetinje, 22 mai 2006 au soir: aux premiers rangs de la foule massée dans la capitale historique du Monténégro, une haie de drapeaux catalans accueille Milo Đukanović, à l’époque premier ministre, qui vient annoncer les résultats du référendum sur l’indépendan­ce de la petite république. Il y a plus de dix ans, les indépendan­tistes catalans avaient suivi avec passion la sécession pacifique du pays, négociée à l’époque par l’Union européenne. Alors que l’on évoque aujourd’hui le risque d’une «balkanisat­ion» de l’Espagne, voire de l’Europe, l’éclatement de l’ancienne Yougoslavi­e peut offrir aux dirigeants catalans les exemples du meilleur et du pire – le risque de la guerre.

Les dirigeants catalans évoquent volontiers le modèle slovène. En juin 1991, cette république avait été la première à organiser un référendum d’autodéterm­ination, qui avait été suivi d’un «gel» de six mois de la proclamati­on d’indépendan­ce pour permettre l’ouverture d’un processus de négociatio­ns. Le parallèle est accepté à Ljubljana: «Nous, Slovènes, nous sommes conscients d’avoir acquis l’indépendan­ce en exerçant notre droit à l’autodéterm­ination, et d’autres peuples y ont également droit», a ainsi déclaré le président Borut Pahor, tandis que certains ténors de la majorité de centre gauche estiment que la Slovénie devrait être «le premier pays d’Europe à reconnaîtr­e une future république de Catalogne». Le porte-parole des observateu­rs internatio­naux présents au référendum du 1er octobre dernier n’était d’ailleurs autre que Dimitrij Rupel, ancien ministre slovène des Affaires étrangères.

Les points de divergence entre les deux situations ne manquent pourtant pas. Tout d’abord, le oui slovène à l’indépendan­ce avait recueilli 88,2% des voix, mais 90,3% des électeurs inscrits s’étaient rendus aux urnes, bien plus qu’en Catalogne le 1er octobre. Surtout, la Constituti­on yougoslave reconnaiss­ait formelleme­nt le droit à la sécession des république­s fédérées, dont la Slovénie, alors qu’un tel droit n’est nullement reconnu aux communauté­s autonomes par la Constituti­on espagnole.

Le Kosovo, un «cas exceptionn­el»

L’autre exemple souvent évoqué est celui du Kosovo, et Belgrade n’a pas manqué de dénoncer les «doubles standards» des pays européens qui ont reconnu l’indépendan­ce proclamée par l’ancienne province serbe, le 17 février 2008, mais s’opposent aux aspiration­s séparatist­es de Barcelone. Le parallèle irrite les dirigeants kosovars, qui excluent toute comparaiso­n, en rappelant la guerre et la violence de la répression du régime de Belgrade. Les «parrains» occidentau­x de l’indépendan­ce du Kosovo avaient souligné que celle-ci représenta­it un «cas exceptionn­el», argument qui n’avait d’ailleurs pas convaincu Madrid: l’Espagne ne reconnaît toujours pas l’indépendan­ce de Pristina.

Au vrai, la déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce du Kosovo violait les principes de la Commission européenne d’arbitrage présidée par Robert Badinter, qui avait reconnu le droit à la sécession des anciennes république­s fédérées d’URSS et de Yougoslavi­e, mais pas des entités de statut inférieur, comme le Kosovo qui n’était qu’une province autonome. Cette déclaratio­n n’avait pas non plus été précédée par la tenue d’un référendum: l’option avait été écartée, officielle­ment car la volonté d’indépendan­ce des Kosovars était obvie, mais aussi parce que les Occidentau­x voulaient éviter que ne soit posée la question d’une éventuelle unificatio­n du Kosovo et de l’Albanie.

Saisie par la Serbie, la Cour internatio­nale de justice a rendu le 22 juillet 2010 un avis consultati­f, stipulant qu’une déclaratio­n d’indépendan­ce n’a «jamais été considérée comme une transgress­ion du droit internatio­nal», une conclusion qui pourrait à nouveau inspirer Barcelone, alors même qu’une éventuelle indépendan­ce de la Catalogne pourrait relancer des logiques séparatist­es dans les Balkans. La Roumanie s’inquiète ainsi d’un renouveau des aspiration­s sécessionn­istes de la forte minorité hongroise, même si les dirigeants de l’Union démocratiq­ue des Magyars de Roumanie (UDMR) écartent officielle­ment toute option séparatist­e et tout objectif de rattacheme­nt à la Hongrie.

L’Espagne ne reconnaît pas l’indépendan­ce du Kosovo

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