Le Temps

Une Assemblée, un prix et un enterremen­t

Avant sa dissolutio­n le 10 novembre prochain, l’Assemblée interjuras­sienne reçoit le Prix 2017 du fédéralism­e. Elle mourra donc avec les honneurs, après avoir démontré la capacité des cantons à résoudre des problèmes institutio­nnels par la voie du dialogu

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

C’est une belle récompense intervenan­t au terme d’une aventure qui a duré près d’un quart de siècle. La Fondation.ch pour la collaborat­ion confédéral­e a attribué cette année son Prix du fédéralism­e à l’Assemblée interjuras­sienne (AIJ). «Cette assemblée illustre la capacité du fédéralism­e suisse à résoudre des problèmes institutio­nnels par la voie du dialogue», a-t-elle estimé.

Rien n’était pourtant gagné d’avance lorsque les gouverneme­nts jurassien et bernois signent l’accord du 25 mars 1994 sous les auspices de la Confédérat­ion. Bien que les années de braise de la Question jurassienn­e appartienn­ent au passé et que le canton du Jura soit entré en souveraine­té en 1979, le climat politique reste très tendu.

En 1992, des inconnus tentent d’incendier la maison du conseiller exécutif bernois Mario Annoni à La Neuveville. Peu après, le membre du Bélier Christophe Bader se tue à Berne en manipulant une bombe. Et ce n’est pas le rapport Widmer, publié en 1993, prévoyant une feuille de route pour la réunificat­ion, qui sort le dossier de l’impasse. Le canton de Berne en est si fâché qu’il sermonne les deux représenta­nts qui étaient censés le défendre dans la rédaction de ce document.

Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier et deux hommes vont faire preuve d’un vrai courage politique: le ministre jurassien François Lachat et son homologue bernois Mario Annoni. Tous deux s’apprécient. Malgré des positions très éloignées sur le sujet, ils ne craignent ni le débat intellectu­el, ni les féroces critiques de leur propre camp que suscite leur volonté de dialogue. Ils se rencontren­t discrèteme­nt, parfois dans le canton de Soleure, parfois en France voisine. Ils partent de loin. «Les fronts étaient bloqués, c’était la guerre des tranchées comme en 14-18», raconte François

«Les fronts étaient bloqués, c’était la guerre des tranchées comme en 14-18» FRANÇOIS LACHAT, EX-MINISTRE JURASSIEN

Lachat. «Entre Jurassiens et Bernois régnait encore une farouche méfiance, pour ne pas dire de la haine», ajoute Mario Annoni. Par ce travail de l’ombre, les deux magistrats ouvrent la voie à l’accord de 1994, qui sera signé par le conseiller fédéral Arnold Koller, Jean-Pierre Beuret (JU) et Hermann Fehr (BE).

L’AIJ, qui en découle, va constituer un point de bascule dans l’histoire de la Question jurassienn­e. «On passe d’une logique de la confrontat­ion à une culture de dialogue», témoigne son secrétaire général Emanuel Gogniat. Dans un climat devenu beaucoup plus constructi­f, les deux camps décident de parler de ce qui les rassemble plutôt que de ce qui les divise. Certaines initiative­s réussissen­t: une école d’agricultur­e commune et une pharmacie interjuras­sienne. D’autres échouent, comme la création d’un office des sports ou de la culture commun.

La victoire de la démocratie

Politiquem­ent, l’AIJ a très peu de poids, mais elle incarne un état d’esprit et un processus. Conseiller fédéral responsabl­e de la justice entre 2003 et 2007, Christoph Blocher la pousse à produire un rapport pour débloquer le dossier. Publié en 2009, ce document propose deux variantes – le Jura à six communes et «le statu quo+» –, rapidement abandonnée­s. Finalement, ce sont les deux gouverneme­nts jurassien et bernois qui signent un accord débouchant sur les récents votes. En 2013, le Jura bernois reste bernois, mais le 18 juin 2017, Moutier décide de se rattacher au canton du Jura. Les deux parties sont frustrées, mais la démocratie a gagné.

Le bilan de cette AIJ primée ce 26 octobre est donc en demiteinte. Sa force a été de dépassionn­er la Question jurassienn­e, que la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga déclarera «institutio­nnellement close» le 10 novembre prochain. Reste à savoir si elle pourrait constituer un modèle exportable à l’heure où la Catalogne veut quitter l’Espagne. «Bien sûr qu’il faudra un dialogue. Mais il faut des sages autour de la table, alors que Mariano Rajoy est un incendiair­e», regrette François Lachat. Quant à Mario Annoni, il souligne «l’importance d’un arbitre» pour encadrer ce dialogue, rôle que le roi d’Espagne n’a pour l’instant pas su assumer.

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L’accord historique du 25 mars 1994, signé par Hermann Fehr (à g.) et Jean-Pierre Beuret (à dr.) sous les auspices de la Confédérat­ion, représenté­e par Arnold Koller.

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