Réforme des retraites: un besoin d’équité entre générations
Le débat sur la réforme des retraites a occulté deux aspects essentiels des transferts financiers assurantiels entre générations: les coûts de la santé et des soins de longue durée. En Suisse, l’espérance de vie à 65 ans est de 22,6 ans pour les femmes et de 19,8 ans pour les hommes, nous avons atteint un stade où les cotisations des actifs sont consommées «directement» par les retraités qui perçoivent au final plus que leur contribution.
En matière de santé, les coûts les plus élevés sont associés à la dernière année de vie, et comme 86% des décès concernent des personnes de plus de 65 ans (OFS 2016), une part importante des coûts sont mutualisés, notamment via la LAMal, en faveur des retraités.
Les coûts des soins de longue durée sont essentiellement liés à la dépendance, laquelle touche en majorité les personnes âgées. Les actifs participent également fortement au financement de ces coûts qui vont augmenter de plus de 5 milliards d’ici à 2030 (Conseil fédéral 2016: «Etat des lieux et perspectives dans le secteur des soins de longue durée»). Compte tenu de ces trois facteurs, les dépenses sociales vont s’accroître, ce qui impliquera une hausse des impôts directs et indirects, des cotisations salariales et des primes LAMal.
Une solution équitable pour chaque génération devra intégrer ces trois facteurs en ayant le courage de poser les trois questions ci-dessous.
• Les réformes peuvent-elles se faire sans impliquer un effort des retraités, dont une partie importante bénéficie de revenus et/ou de fortunes au moins équivalents à ceux des actifs? Les disparités d’âge, de revenus et de fortune entre les retraités font qu’ils ne forment plus un groupe social cohérent. Les notions d’actifs et de retraités pourraient donc être remplacées par celle de capacité à contribuer. Ne pas tenir compte de la situation effective des retraités revient à cautionner une pyramide de Ponzi.
• Les réformes ne doivent-elles pas tenir compte de l’augmentation du nombre de représentants du 4e âge? Les actifs peuventils financer le 3e et le 4e âge, alors qu’ils sont également confrontés aux charges du 1er âge, leurs enfants?
• L’âge de la retraite et le taux de conversion ne devraient-ils pas mieux tenir compte des aspects démographiques et économiques?
Il devient également urgent de trouver de nouvelles modalités de financement pour faire face aux enjeux multiples du vieillissement, en explorant notamment les pistes suivantes:
• Impôt sur les successions. Les frais liés à la dépendance s’apparentent déjà à un tel impôt pour les classes moyennes. Un séjour en EMS réduit considérablement la fortune accumulée tout au long de sa vie. Un impôt sur les successions généralisé pour financer la dépendance permettrait de mutualiser ce risque. Un prélèvement de 2% rapporterait entre 1 et 1,4 milliard de francs. L’âge moyen des héritiers étant de 55 ans, cette mesure épargnerait globalement les plus jeunes.
• Participation des retraités, selon l’une ou l’autre des modalités suivantes:
– prélévement sur les rentes des personnes du 3e âge pour financer les frais de santé liés au 4e âge par le biais d’une cotisation progressive sur les rentes AVS et LPP;
– adaptation de l’âge de la retraite et des rentes en fonction de l’évolution de l’espérance de vie et de la santé des finances de l’AVS et du 2e pilier. En contrepartie, le financement du 2e pilier deviendrait moins défavorable aux travailleurs plus âgés et leurs modes de participation seraient élargis en prônant le temps partiel pour les plus de 60 ans.
• Impôt de solidarité sur les fortunes supérieures à 10 millions, afin de limiter la croissance des inégalités, tout en contribuant à la survie du système des retraites.
• Augmentation des charges sur les entreprises en fonction de leurs impacts sociaux et écologiques. Les pratiques illégales (Dieselgate, par exemple) devraient conduire à de très fortes amendes. De même, les compagnies, GAFA notamment, qui font commerce de données obtenues gratuitement pourraient plus contribuer au bien public.
Par ailleurs, le financement des retraites devra devenir plus adaptatif afin de faire face à l’automatisation annoncée du marché du travail. Le recours aux cotisations salariales pourrait devenir peu à peu obsolète. Dans cette éventualité, les projets relatifs à la taxation des mouvements d’argent et/ou des robots devraient être étudiés.
L’approche globale proposée va cumuler les oppositions des retraités, de la gauche et de la droite. Elle semble ainsi condamnée. Toutefois, après le développement salutaire des dispositifs qui ont permis que vieillesse ne rime plus avec pauvreté, n’est-il pas désormais urgent de réfléchir sans tabous aux adaptations nécessaires pour éviter que le financement du vieillissement ne devienne synonyme d’inégalités criantes? Vu l’ampleur et la rapidité des changements annoncés, la Suisse ne peut se permettre son luxe préféré, la lenteur.
Le financement des retraites devra devenir plus adaptatif afin de faire face à l’automatisation annoncée du marché du travail