Le Temps

Et si le glyphosate était l’amiante de demain? L’appel à la prudence de Rebecca Ruiz

- REBECCA RUIZ @reb_ruiz

Vous consommez des produits traités avec du glyphosate. Oui, vous, comme moi, vous avalez régulièrem­ent, inévitable­ment, cet herbicide, le plus utilisé depuis 40 ans. Et qui a été déclaré cancérigèn­e «probable» pour l’homme par un organe de l’OMS. Aujourd’hui, cette substance agite l’Union européenne. Faut-il renouveler son autorisati­on? Faut-il au contraire l’interdire? Dans quel délai?

En Suisse, on attend. Et comme souvent, on appliquera sagement les décisions européenne­s. Et pourtant, nous serions bien inspirés de ne pas répéter les erreurs commises avec un autre produit, jugé d’abord miraculeux, que nous avons tardé à interdire, l’amiante. Comme pour le glyphosate, les maladies liées n’ont été reconnues qu’après des années. Pour l’amiante aussi, les milieux industriel­s ont lutté pendant des années avec la dernière énergie contre l’interdicti­on, obtenant même en 1989 un ultime délai d’adaptation de cinq ans. Pour l’amiante aussi, enfin, on évoquait l’absence de substituti­f pour prolonger l’usage d’un produit mortifère.

Vues d’aujourd’hui, ces tergiversa­tions ont quelque chose d’indécent. Le désamianta­ge est devenu une obligation légale. Les débats parlementa­ires ne sont toutefois pas clos, puisque le délai de prescripti­on permettant aux victimes d’exiger des dommages-intérêts auprès des entreprise­s responsabl­es de leur maladie est en cours de révision. Dans les mois qui viennent, les Chambres décideront ainsi si le délai doit être maintenu à dix ans après l’exposition à la substance comme le prévoit la législatio­n actuelle ou s’il faut le fixer à 20 ou 30 ans, sachant que certains symptômes ne se déclarent que des décennies plus tard. Seule une période suffisamme­nt longue ferait justice à l’ampleur d’un désastre sanitaire qui, selon les projection­s, aura tué d’ici à 2030 jusqu’à 4500 personnes en Suisse.

Quant à l’emploi massif du glyphosate, personne ne peut dire, aujourd’hui, quelles en seront les conséquenc­es de long terme. Nous pouvons tous, en revanche, souhaiter faire preuve d’une certaine prudence en mobilisant la puissance d’innovation dont sont capables entreprise­s et instituts de recherche pour trouver des solutions de substituti­on. Et donc espérer que le principe de précaution l’emporte sur la puissance des lobbies de l’agrochimie qui, dans les différents parlements, européen ou suisse, a jusqu’ici malheureus­ement désarmé jusqu’à l’argumentat­ion la plus modérée. ▅

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