Le Temps

La Chine ne veut plus traiter les déchets occidentau­x. Casse-tête européen

- MARIE MAURISSE @MarieMauri­sse

Chaque année, des centaines de tonnes de plastique partent vers la Chine pour être traitées. Or Pékin vient d’annoncer qu’il ne prendrait plus en charge ce type de déchets. En Suisse, les profession­nels du secteur ne sont pas sûrs d’arriver à s’en sortir

D'ici à la fin de l'année, la Chine fermera ses portes à 24 types de déchets occidentau­x. Les plastiques sont particuliè­rement concernés: les bouteilles en PET et autres films plastiques qui arrivent d'Europe et des EtatsUnis par cargos sont désormais tous sur liste noire. L'annonce a été faite fin juillet par Pékin à l'Organisati­on mondiale du commerce. Et même si cela faisait plusieurs mois que des rumeurs couraient dans la profession, la décision de la Chine est perçue comme un coup de tonnerre, et surtout un casse-tête.

Car le traitement des déchets est bel et bien une économie mondialisé­e. «Près de 50% des déchets mondiaux sont recyclés en Chine, explique Evguenia Derevianki­ne, avocate spécialist­e en droit douanier et droit de l'environnem­ent, associée chez UGGC Avocats, à Paris. Beaucoup sont des plastiques qui, une fois traités et fondus, servent de matière première à la fabricatio­n d'objets de consommati­on courante, ensuite réexportés.»

Désaccord commercial

Selon les chiffres de la Fédération profession­nelle des entreprise­s du recyclage, la Chine importe chaque année plus de 9 millions de tonnes de déchets plastiques. Mais cette activité génère une pollution de l'air très élevée, dont la population est la première victime, notamment dans les villes. C'est pourquoi Pékin s'est engagé à réduire la quantité de particules fines dans l'atmosphère d'ici à 2035. Dans certaines villes, les nuages toxiques sont si importants que les autorités ont décidé de fermer les usines une partie de l'hiver.

Par ailleurs, avec une classe moyenne en forte augmentati­on dans le pays, le nombre de déchets produits sur son sol croît aussi considérab­lement. «Dans ce contexte, la Chine préfère recycler ses propres déchets, plutôt que de traiter ceux des autres», constate Evguenia Derevianki­ne. Désormais, elle réutiliser­a donc en priorité ses propres rebuts de plastique.

Si les enjeux sont considérab­les, l'annonce de la Chine est jusqu'à présent passée inaperçue. Au Programme des Nations unies pour l'environnem­ent (PNUE), la porte-parole Niamh Brannigan ne souhaite pas commenter un sujet «qui relève d'un désaccord commercial».

La Suisse à la traîne

A quel point cette décision concerne la Suisse? Ce type de déchets plastiques, considérés comme non dangereux, ne fait pas l'objet d'une demande d'autorisati­on spécifique pour sortir du pays, précise Martin Luther, porte-parole de l'Office fédéral de l'environnem­ent (OFEV), qui ne dispose donc pas de chiffres à ce sujet. Dans Swiss-Impex, la base de données officielle du commerce extérieur du pays, on trouve cependant quelques statistiqu­es. En 2016, 99 000 tonnes de «déchets, rognures et matières plastiques» ont été exportées, pour un montant de 23 millions de francs; 53000 tonnes sont parties vers l'Allemagne et 1200 tonnes vers la Chine. En 2015, c'était 2000 tonnes.

Ces chiffres ne représente­nt probableme­nt qu'une partie de tous les plastiques recyclés par l'Empire du Milieu. Mais ils ne sont certaineme­nt pas négligeabl­es. En effet, la Suisse est à la traîne en matière de recyclage du plastique, avec seulement 90000 tonnes de déchets plastiques annuels recyclés sur place, sur un total de 780000 tonnes, dont la majorité est incinérée dans le pays. En automne dernier, le peuple refusait l'initiative «Pour une économie verte», qui proposait un programme de réduction et de valorisati­on des déchets. La Chine, qui jusqu'à présent récupérait ceux-ci pour une somme modique – environ 60 francs par tonne – était un débouché facile.

Réagir vite

Mais la décision de Pékin va contraindr­e les profession­nels à réagir vite. «Il n'y a pas de miracle, pense la spécialist­e Evguenia Derevianki­ne. L'Europe va vivre, à court terme, une crise des déchets. Une partie des plastiques devra être incinérée dans un premier temps, si les installati­ons le permettent. Puis peu à peu le marché retombera sur ses pattes.»

D'aucuns pensent que des pays de l'Asie du Sud-Est pourront récupérer les plastiques qui partaient avant vers la Chine. Car pour le moment, les recycler en Europe resterait toujours plus coûteux que de les envoyer par la mer vers le Vietnam ou la Thaïlande.

Pour que la filière suisse se développe, il faudrait donc une vraie volonté politique. Contrairem­ent à nombre de ses concurrent­s, Xavier Prudhomme, directeur de l'usine de recyclage RC Plast de Grandson (Vaud), n'envoie pas ses déchets plastiques en Chine: il les traite sur place pour en faire une matière première pure à 98%, réutilisée par les industriel­s. «Je comprends que la Chine ne veuille plus gérer nos emballages plastiques. La plupart sont brûlés et cela pollue énormément, dit-il. C'est à nous de trouver nos propres solutions.»

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(REUTERS/STEVEN SHI) Une usine de recyclage du plastique à Ningbo, dans la province du Zhejiang, en Chine.

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