Le Temps

Les géants du Web veulent faire main basse sur les droits TV des compétitio­ns sportives

Pour acquérir les droits TV des compétitio­ns sportives, les géants du Web sont prêts à faire des folies pour concurrenc­er les principaux diffuseurs

- MATHIEU AIT LACHKAR, LE MONDE

Les géants du numérique vont-ils devenir le nouvel eldorado des détenteurs de droits sportifs? L’interrogat­ion semble légitime au regard des moyens gigantesqu­es que les sociétés Google, Apple, Facebook et Amazon, souvent désignées par l’acronyme GAFA, ont commencé à investir aux Etats-Unis.

En avril 2016, Twitter s’emparait, devant Verizon, Yahoo! et Amazon, des droits numériques de dix des seize matches de football américain du jeudi soir (Thursday Night Football), pour 10 millions de dollars. Un an plus tard, Amazon prenait sa revanche en proposant cinq fois plus que la firme à l’oiseau bleu pour sceller un nouvel accord avec la Ligue nationale de football (NFL) pour la saison 2017-2018. Néanmoins, le géant de la distributi­on en ligne ne retransmet pas les matches de NFL en exclusivit­é, mais en complément des canaux traditionn­els que sont NBC, CBS, Fox et ESPN.

En course pour l’attributio­n, en 2016, des matches de NFL, avant de se rétracter, Facebook a ensuite proposé 600 millions de dollars pour les droits numériques de la Premier League indienne de cricket, finalement acquis par le groupe indien Star India (propriété de Rupert Murdoch). «Le cricket est incroyable­ment populaire en Inde. Même si nous avons échoué, nous avons montré notre volonté d’offrir le meilleur à nos utilisateu­rs», assure Dan Reed, directeur monde des partenaria­ts sportifs chez Facebook. Avant de se défendre quand on lui parle de droits TV: «Il s’agissait d’une offre digitale, donc différente de celle proposée par les chaînes classiques.»

La Premier League en tête

Les GAFA iront-ils jusqu’à lorgner sur les droits TV des grands championna­ts de football européens? Actuelleme­nt au prix de 750 millions d’euros par saison (Ligue 2 comprise), la Ligue 1 espère, grâce à ses nouvelles stars, renégocier à la hausse ses droits en France. Bien qu’attendus par les ayants droit, les géants du numérique ne semblent pas prêts à investir. «Même si l’engouement prend de l’ampleur notamment depuis l’arrivée de Neymar, c’est encore un peu tôt pour la France», explique l’économiste Pascal Perri. Selon lui, la Premier League anglaise, aux tarifs prohibitif­s mais à l’audience universell­e, est l’objectif prioritair­e.

Les GAFA préfèrent parler de «partenaria­t» plutôt que de guerre ouverte contre les actuels détenteurs. «Google n’a pas de stratégie pour se placer sur les droits en France ni ailleurs, affirme Charles Savreux, porte-parole de YouTube France. Nous sommes juste là pour offrir à nos diffuseurs des possibilit­és d’étendre leur audience.» Même son de cloche du côté de Facebook. «Nous travaillon­s déjà avec les diffuseurs et les détenteurs de droits afin de les aider à atteindre un public mondial et leurs objectifs commerciau­x, souligne Dan Reed. Au cours des six premiers mois de l’année, plus de 3500 événements sportifs ont été diffusés en direct sur Facebook.»

Seule une petite partie d’entre eux était le résultat de partenaria­ts rémunérés comme avec la chaîne Univision Deportes, la Major League Soccer, la World Surf League ou la Major League Baseball. Le reste a été diffusé de manière éparse. «En matière de sport, proposer des contenus live de qualité ne passe pas uniquement par l’achat de droits», explique-t-on du côté de Twitter. Préférant évoquer des «programmes exclusifs et complément­aires de la diffusion d’un match», sans donner davantage de détails.

Une offre toujours plus éparse

Seule Amazon, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, adopte une stratégie plus agressive. Pour attirer les clients vers son offre premium, la firme a obtenu le droit de retransmis­sion audio, via une applicatio­n mobile, des rencontres de la Bundesliga, le championna­t de football allemand.

Mais alors pourquoi le sport séduit-il autant les GAFA? Ces géants du Net sont souvent des médias de l’instantané et le sport est l’un des rares vecteurs d’émotions collective­s que tous peuvent partager au même moment. C’est aussi l’un des rares événements télévisuel­s à ne pas être touchés par le replay. Le sport se vit en direct et souvent entre amis ou en famille. Le défi pour ces acteurs est donc celui de la monétisati­on de cette audience. Sachant qu’il s’agit là d’un moyen efficace pour diffuser des publicités, en particulie­r aux Etats-Unis, où les sports à temps mort sont nombreux à la télévision et très prisés du public.

Pour Pascal Perri, si l’investisse­ment des GAFA n’en est qu’à ses balbutieme­nts, on se dirige progressiv­ement vers un bouleverse­ment de l’acquisitio­n des droits. «Cela a toujours été dans leur stratégie de parler de partenaria­t avec les diffuseurs. En réalité, ils testent des choses avant de frapper un grand coup. Il leur manque juste du contenu de diffusion», ajoute l’économiste.

Le développem­ent de nouvelles pratiques de consommati­on, hors écran de télévision traditionn­el, à travers les plateforme­s de streaming telles que Netflix ou son équivalent allemand dans le sport, DAZN, devrait profiter aux GAFA. De même que l’éparpillem­ent de l’offre sportive, qui oblige le téléspecta­teur à jongler entre SFR, BeIN et Canal+, pourrait jouer en leur faveur afin d’imposer dans le futur une offre universell­e.

La Premier League anglaise, aux tarifs prohibitif­s mais à l’audience universell­e, est l’objectif prioritair­e selon l’économiste Pascal Perri

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland