«Avant la fin de l’été», un film fragile et précieux, entre fiction et documentaire
Premier long-métrage de la Genevoise d’origine iranienne Maryam Goormaghtigh, «Avant la fin de l’été» est un film fragile et précieux, qui se joue admirablement de la frontière perméable qui sépare le documentaire de la fiction
Née à Genève en 1982, Maryam Goormaghtigh a étudié la musicologie et l'histoire et esthétique du cinéma à l'Université de Lausanne, avant de suivre un cursus en réalisation à l'Insas, à Bruxelles. Réalisé après plusieurs courts-métrages, Avant la fin de l’été est son premier long. Il a connu sa première mondiale en mai dernier à l'enseigne de l'ACID, section indépendante du Festival de Cannes, avant d'être montré dans une dizaine de festivals et de se voir primé à Zurich (Emerging Swiss Talent Award) et à Londres (Mention spéciale du jury).
Vous êtes d’origine iranienne mais êtes née à Genève: est-ce que filmer Arash, Hossein et Ashkan était pour vous un moyen de vous rapprocher de vos racines? Absolument, car je les ai rencontrés à un moment de ma vie où je traversais une sorte de crise identitaire. J'étais curieuse de l'Iran, le pays de ma mère, que je ne connaissais pas, et d'une langue qui ne m'avait pas été transmise. Deux après avoir commencé à suivre des cours de persan à l'Institut national des langues et civilisations orientales de Paris, j'ai alors croisé la route de ces trois garçons. Et tandis qu'eux se demandaient s'ils devaient rester en France ou repartir en Iran, s'ils n'étaient pas en train de devenir un peu Français, moi, j'avais envie de devenir Iranienne. J'avais le désir de filmer l'«iranité», de me reconnecter à cette culture.
L’envie de faire un film avec eux est-elle venue dès votre rencontre? On a appris à se connaître, on a passé quelques soirées ensemble et très vite on est devenus proches, il y a eu une sorte d'alchimie. Sans trop leur demander leur avis, j'ai alors commencé à les filmer avec un petit appareil photo, et au bout de quelques sessions je leur ai parlé de mon envie de tourner un film avec des Iraniens, même si à ce moment rien n'était clair dans ma tête. Mais j'avais l'intuition qu'ils pourraient être de bons personnages, car ils ont quelque chose d'un trio de comédie à l'italienne, ils sont très typés.
Il y a Arash, l'opulent bonhomme qui n'arrive pas à trouver sa place, Ashkan, le petit rigolo maladroit qui galère en amour, et Hossein, le beau gosse qui a réussi mais est hyper-tourmenté. J'ai alors passé plusieurs années à les filmer lors de chacune de nos rencontres; j'avais des disques durs pleins de nos discussions et soirées, mais je ne savais pas quoi faire de ces rushes. Et finalement, toute cette matière m'a aidée à penser le tournage du film, qui a duré très peu de temps, à peine deux semaines.
Aviez-vous néanmoins un scénario, ne serait-ce qu’un fil rouge, ou le film a-t-il été improvisé? Le fil rouge, c'est la route, les endroits où on s'arrête, que j'avais repérés soit pour leurs qualités cinégéniques, soit parce qu'il y avait un événement, comme une fête du 15 août dans laquelle il me semblait intéressant de les plonger. La rencontre avec les deux filles, je l'ai également orchestrée. A partir de ces points d'articulation que j'ai imposés pour être sûre d'avoir de la substance, et des discussions que j'avais notées sur des post-it pour qu'elles ressortent, par exemple autour du service militaire ou de la prise de poids d'Arash, ils ont réussi à devenir acteurs; non pas dans le sens de comédiens qui interpréteraient des dialogues, mais dans l'idée qu'on a fait le film ensemble, à partir de qui ils sont.
A travers certaines discussions autour, justement, du service militaire, ou encore de la liberté sociale et de la religion, le film a quelque chose de politique, du moins pour un spectateur européen… Je n'ai évidemment pas réalisé un film-sujet, mon désir étant avant tout de montrer une amitié masculine, un dernier voyage entre amis. Mais forcément, lorsqu'on filme des gens qui sont à cheval entre deux cultures, qui viennent d'un pays très différent du nôtre, cela suscite des questions qui sont politiques et sociales. Ce qui m'intéressait, c'étaient des parcours de vie, savoir comment on peut venir comme Hossein d'une famille très religieuse, puis être «transformé» par la culture française.
Arash, lui, n'a pas été transformé, car il vient d'une famille plus libérale, avec un mode de vie à l'occidentale. La séquence du voile, pour prendre cet exemple, je ne l'ai absolument pas imaginée. Ce sont les deux filles qui leur ont demandé comment on se voile en Iran. Au final, ça a donné une séquence rigolote, qui pour moi était une interaction, un moment de drague. Or en France, elle a suscité beaucoup de réactions, car la question du voile y est très sensible. Mais de mon côté, je n'ai jamais pensé mon film en termes politiques. Il y a peut-être une attente quand on parle de l'Iran, mais moi je ne voulais rien dénoncer, je souhaitais juste raconter l'histoire d'un garçon qui est mal en France et qui veut rentrer dans son pays.
Quand avez-vous finalement découvert l’Iran? J'y suis allée pour la première fois, avec eux, il y a cinq ans; et j'ai découvert autre chose que les idées préconçues qu'on a sur ce pays, autre chose que ce que je connaissais à travers ce qu'en disent les médias ou ma famille, avec des histoires douloureuses liées à l'exil qui a suivi la révolution de 1979. Arash, Hossein et Ashkan m'ont fait découvrir l'Iran selon leur point de vue, et j'ai été émerveillée par ce que j'ai découvert.
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