Le Temps

Egalité: et si on n’attendait pas un siècle?

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

Il faudra précisémen­t un siècle pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit atteinte dans le monde. Ce délai n’est pas seulement consternan­t. Selon le Forum économique mondial (WEF), qui l’a calculé, il est aussi plus important qu’il y a deux ans. En d’autres termes, l’égalité ne progresse pas, elle régresse. Et ce qu’il s’agisse d’accès à la santé et à l’éducation, d’opportunit­és économique­s ou de représenta­tion politique. Pour ne prendre qu’un exemple qui frise la science-fiction: au rythme actuel, l’écart salarial mettra plus de deux siècles à être comblé.

L’ironie de ces chiffres est glaçante, alors que le sujet des inégalités de genre n’a jamais été aussi dénoncé et fait l’objet d’autant d’études montrant son aberration économique. Car, au-delà de l’aspect simplement éthique, le gain pour l’ensemble de la collectivi­té d’une plus grande implicatio­n des femmes dans l’économie est désormais documenté. Il se chiffre en milliards de francs.

L’affaire des autres? Des pays émergents? Oui, mais pas que. Si l’Europe occidental­e se porte mieux que le reste du monde, elle le doit avant tout aux pays nordiques, qui enjolivent une moyenne peu réjouissan­te sans eux. Figurant au 21e rang, la Suisse n’a rien pour se pavaner: elle s’est fait distancer par l’Europe du Nord et par bien d’autres: le Rwanda, les Philippine­s ou le Nicaragua offrent une réalité plus attrayante pour les femmes, selon le rapport.

Et pourtant. Ni la politique ni l’économie suisses ne semblent particuliè­rement concernées et émues de cette situation. La seconde affûte ses armes contre le projet de quotas dans les entreprise­s – l’une des rares propositio­ns dans ce domaine amenées par le gouverneme­nt – mais ne propose strictemen­t rien en échange, si ce n’est une autorégula­tion qui a justement échoué à faire ses preuves.

Or en parler ne suffit pas, c’est certaineme­nt le message à retenir de cette étude. On ne cesse de louer le modèle des pays nordiques pour l’égalité des genres, et pas uniquement d’ailleurs. Peut-être pourrait-on arrêter de s’en émerveille­r et vraiment commencer à s’en inspirer? Car il ne s’est pas fabriqué par la force de discussion­s et de débats, mais parce que ces pays s’en sont donné les moyens et ont pris des mesures, parfois provisoire­s.

Conservati­sme, inertie, déni, crainte d’une perte de privilèges, société fondamenta­lement inégalitai­re, une multitude de raisons peuvent expliquer cet écart et l’échec à le prendre au sérieux et à le combattre. Surtout, les décideurs sont principale­ment des hommes, qui n’y voient pas forcément une priorité.

Un exemple récent l’illustre bien. Le Conseil fédéral – cinq hommes, deux femmes – a raté une bonne occasion d’avancer en se prononçant contre le congé paternité avec l’argument fallacieux du coût pour l’économie. C’est d’autant plus regrettabl­e que cette mesure aurait eu l’avantage d’aider les familles et celui, plus symbolique, de montrer qu’atteindre l’égalité n’est pas qu’une affaire de femmes. C’est un enjeu et un progrès pour tous qui méritent qu’on n’attende pas encore un siècle.

L’écart salarial mettra plus de deux siècles à être comblé

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