Le Temps

Le «Sauveur du monde» est à vendre

L’oligarque russe Dmitri Rybolovlev cherche à se séparer du joyau de sa collection, acquis via le marchand d’art Yves Bouvier. Les enchères pour cette toile de Léonard de Vinci devraient débuter à 100 millions de dollars, bien au-dessous de son prix d’ach

- DEJAN NIKOLIC @DejNikolic

C’est un tableau exceptionn­el, la dernière toile de Léonard de Vinci encore en mains privées. Le «Salvator Mundi», propriété de l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev et acquis via le marchand d’art genevois Yves Bouvier, qu’il accuse d’escroqueri­e, sera vendu par Christie’s le 15 novembre à New York. Les enchères devraient débuter à 100 millions de dollars.

Le Salvator Mundi («Sauveur du monde») est un tableau d’une rareté exceptionn­elle. C’est la dernière des toiles de Léonard de Vinci encore en mains privées. Propriété du milliardai­re russe Dmitri Rybolovlev, c’est aussi l’une des pierres angulaires de la discorde qui l’oppose au Genevois Yves Bouvier. Cette oeuvre majeure, représenta­nt sur un panneau de noyer le Christ-Roi, est mise aux enchères le 15 novembre prochain à New York. La vente est organisée par Christie’s.

Ce joyau de la collection Rybolovlev pourrait être adjugé à plus de 100 millions de dollars. Un chiffre aussi décoiffant que le récent transfert du petit prodige du football français, Kylian Mbappé, pour l’heure prêté par l’AS Monaco – un club présidé par l’oligarque russe – au Paris SG avec une option d’achat de 180 millions d’euros. Normal, estime le Genevois Loïc Gouzer, coprésiden­t des départemen­ts d’art post-Seconde Guerre mondiale et contempora­in pour la zone Amériques de Christie’s: «Le Salvator Mundi est la plus grande révélation de ces deux derniers siècles.»

Une toile en tournée mondiale

La légende de la dernière peinture retrouvée de Léonard de Vinci est rocamboles­que. Perdue pendant 137 ans, l’oeuvre est réapparue mystérieus­ement, puis vendue pour moins de 600 francs avant d’être finalement authentifi­ée. «Il s’agit avant tout d’un tableau trophée, ayant appartenu à plusieurs rois, unique et inestimabl­e car réalisé par un artiste capital, assure Loïc Gouzer. Lorsque sa mise en vente a été annoncée, notre site a enregistré plus de visites en deux jours que sur ces deux dernières années.»

Pour faire monter les enchères à grand spectacle du 15 novembre, le Sauveur du monde a fait une tournée mondiale. Il a été présenté à New York et à Hongkong. Son périple est aussi passé par San Francisco et Londres, avant de regagner Manhattan. «Des musées très importants rêvent déjà de l’acquérir, assure Loïc Gouzer. Pour le voir l’espace de dix secondes, les curieux et les potentiels acheteurs ont patienté dans des files d’attente de plusieurs dizaines de mètres, en dehors du bâtiment d’exposition.»

«Lorsque sa mise en vente a été annoncée, notre site a enregistré plus de visites en deux jours que sur ces deux dernières années» LOÏC GOUZER, CHRISTIE’S

Chapitre douloureux

L’histoire mouvementé­e du Sauveur nous replonge au coeur du plus gros scandale à avoir ébranlé le marché de l’art ces dernières années. Le tableau a été cédé en 2013, pour 83 millions de dollars, à Yves Bouvier. Trois jours plus tard, ce dernier revendait la peinture à Dmitri Rybolovlev, pour 127,5 millions de dollars. Une différence tarifaire de plus de 40 millions qui a déclenché une bataille juridique toujours en cours, l’oligarque accusant le Genevois d’avoir copieuseme­nt surfacturé le tableau.

Pourquoi Dmitri Rybolovlev cherche-t-il aujourd’hui à se séparer de la pièce maîtresse de sa collection personnell­e? Une manoeuvre pour démontrer qu’il l’a payée trop cher et que sa valeur d’achat ne correspond­ait pas au prix du marché, selon plusieurs initiés. Contacté, Sergey Chernitsyn, responsabl­e du family office de l’oligarque russe, résume la situation ainsi: «Cette vente doit mettre un terme à un chapitre très douloureux pour la famille Rybolovlev. Il ne s’agit que d’une des 38 toiles incriminée­s, la quête de justice se poursuit.»

Lors de la soirée du 15 novembre, une autre oeuvre mythique sera proposée à la vente: Sixty Last Suppers, la dernière toile du maître du pop art Andy Warhol, réalisée peu avant sa mort, d’après le tableau de Léonard de Vinci. Un mélange de genres et d’époques voulu par Loïc Gouzer. «Nous avons approché, de manière proactive, le propriétai­re du Salvator Mundi. L’idée de la vente vient de nous», indique la cheville ouvrière du coup médiatique de Christie’s.

Mise en garde du marchand d’art genevois

La peinture du maître de la Renaissanc­e, qui a ressurgi en 2005, était en piteux état. Après avoir subi une très lourde restaurati­on – seules les mains du Christ étaient préservées, le reste a été largement reconstrui­t –, l’oeuvre avait tout de même été estimée initialeme­nt à 200 millions de dollars.

Un prix qu’Yves Bouvier avait à l’époque jugé disproport­ionné, quand bien même Dmitri Rybolovlev aurait été prêt à s’offrir la toile pour 190 millions. C’est en

Une autre oeuvre mythique sera proposée à la vente: «Sixty Last Suppers», la dernière toile d’Andy Warhol

tous les cas ce qui ressort d’un échange de courriels datant de mars 2013 entre les deux hommes, et que Le Temps s’est procurés.

«La décision d’acheter ce tableau doit être pour son plaisir et sa beauté […] Il est important de ne pas considérer cet achat comme un investisse­ment très qualitatif et il ne le deviendra jamais, mais comme un plaisir personnel […]», écrivait en 2013 le marchand d’art genevois.

Et ce dernier de conclure: «L’acheteur qui paiera trop cher ce tableau que personne ne veut sera considéré comme un «pigeon» et sera la «risée» du marché de l’art et perdra toute crédibilit­é […]. Si, malgré cela, l’envie d’un «coup de folie» reste et s’il y a toujours un intérêt pour ce tableau, je maintiens qu’il faut éviter que l’on pense que c’est un oligarque qui est intéressé.»

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(TOLGA AKMEN/AFP)
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(ILYA S. SAVENOK/GETTY IMAGES FOR CHRISTIE’S AUCTION HOUSE/AFP) Le «Salvator Mundi» lors de sa présentati­on chez Christie’s. La dernière des toiles de Léonard de Vinci encore en mains privées.

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