Le Temps

Fuite de données aux Caraïbes

Moins d'un an après les Panama Papers, la firme Appleby est dans le viseur d'un consortium de journalist­es internatio­naux. L'étude, basée dans les Caraïbes, est une spécialist­e de l'optimisati­on fiscale complexe

- SYLVAIN BESSON @SylvainBes­son

Le cabinet d’avocats des Bermudes Appleby, spécialisé dans la clientèle haut de gamme et les montages sophistiqu­és d’optimisati­on fiscale, a révélé être la cible d’une fuite de données au profit du Consortium internatio­nal de journalist­es d’investigat­ion (ICIJ). La publicatio­n des informatio­ns est imminente. Elle concerne des multinatio­nales, des sociétés suisses et des grandes fortunes.

Nouvel avis de tempête pour les paradis fiscaux des Caraïbes. Quelques mois après la fuite massive des Panama Papers qui a mis à genoux l'étude panaméenne Mossack Fonseca, c'est au tour du cabinet d'avocats Appleby de subir les assauts du Consortium internatio­nal de journalist­es d'investigat­ion (ICIJ).

Dans une déclaratio­n publiée sur son site internet, Appleby affirme avoir connu un «incident relatif à la sécurité des données» l'an dernier, qui aurait abouti à la fuite de certaines informatio­ns.

Le cabinet, basée notamment aux Cayman et aux Bermudes, qui compte 470 employés dont 200 avocats dans plusieurs juridictio­ns, indique avoir «reçu récemment des questions du Consortium internatio­nal de journalist­es d'investigat­ion (ICIJ) et d'un certain nombre d'organisati­ons partenaire­s». L'étude affirme avoir vérifié les «allégation­s» des journalist­es sur sa clientèle et n'avoir trouvé «aucune preuve de malversati­ons de notre part ou de celle de nos clients».

Montages agressifs

Contactés par Le Temps, ni Appleby ni l'ICIJ n'ont fait d'autres commentair­es. Mais nous avons pu confirmer l'existence de la fuite et la publicatio­n imminente de données qui en sont issues.

Selon nos informatio­ns, les articles à paraître très prochainem­ent en Europe et aux Etats-Unis concernero­nt les montages fiscaux agressifs de multinatio­nales comme Apple, de personnali­tés politiques nord-américaine­s ou de grandes entreprise­s suisses. Les moyens d'échapper à la TVA européenne sur les yachts et les jets privés grâce à des structures de l'île de Man seront aussi mis en lumière.

Appleby est un spécialist­e des structures sophistiqu­ées, réparties sur plusieurs juridictio­ns pour minimiser l'impôt ou camoufler le bénéficiai­re ultime de certains actifs. Un service d'élite, sérieux, très loin du laxisme qui régnait chez Mossack Fonseca, selon plusieurs initiés.

«Les gens d'Appleby ont très bonne réputation, ils sont très pros, très bons, indique un avocat genevois qui connaît bien l'étude caribéenne. Ils sont présents uniquement dans des centres offshore – Cayman, Hong Kong, Iles vierges britanniqu­es, Guernesey, Jersey, île de Man… Mais ce ne sont pas de simples administra­teurs de sociétés offshore, c'est plus sophistiqu­é. Ils font du réglementa­ire, des produits dérivés pour les fonds, des services pour entreprise­s, contrats d'actionnair­es, holdings, fonds irlandais…»

Les révélation­s à venir vont-elles ébranler cette machine bien huilée? Sans doute, mais les données issues de la fuite se sont révélées «très arides, voire inexploita­bles», explique une personne qui a vu ces documents. Appleby est un expert de domaines complexes comme la réassuranc­e, ce qui rend difficiles l'interpréta­tion et la mise en scène des informatio­ns. L'impact de cette nouvelle fuite – dont l'auteur et la provenance sont inconnues – pourrait donc être moindre que celui des Panama Papers.

Mais politiquem­ent, l'opération tombe à un moment intéressan­t. Car après avoir imposé l'échange automatiqu­e d'informatio­ns fiscales, le G7 et l'OCDE s'intéressen­t à la transparen­ce des montages financiers vendus par Appleby et autres spécialist­es de l'offshore.

«Trop de structures offshore opaques»

«La question qui peut se poser aujourd'hui est celle du bénéficiai­re effectif, explique Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique fiscale de l'OCDE. Il y a encore trop de structures offshore opaques, avec des trusts, des nominees, des hommes de paille où on ne sait pas qui est derrière. Il faut que l'informatio­n devienne plus accessible pour les administra­tions, et pas seulement les administra­tions fiscales.» Une obligation de déclarer les montages vendus aux clients est à l'étude.

Il faut dire que dix ans après la crise financière et le démantèlem­ent progressif du secret bancaire, les paradis fiscaux se portent bien. En 2015, après avoir décliné, la richesse détenue dans les centres offshore a dépassé son niveau de 2007, selon une récente étude des économiste­s Annette Alstadsaet­er, Niels Johannesen et Gabriel Zucman. Et il faudra peut-être davantage qu'une nouvelle fuite pour enrayer cette dynamique.

«Les gens d’Appleby ne sont pas de simples administra­teurs de sociétés offshore, c’est plus sophistiqu­é» UN AVOCAT GENEVOIS

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(JOHN GREIM/LIGHTROCKE­T VIA GETTY IMAGES) Hamilton, la capitale des Bermudes, est la base historique du cabinet d’avocats offshore Appleby.

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