Un quartier en totale autarcie énergétique
Le futur quartier dans le village du Gros-de-Vaud est une véritable centrale électrique habitable: 15 appartements fonctionnent de manière complètement autonome. Visite du chantier avec son concepteur
A Thierrens, dans le Gros-deVaud, s’achève un projet immobilier unique en Suisse: un quartier en totale autarcie énergétique. Financé par des fonds privés, il offre 15 appartements et deux bureaux. Et démontre selon son concepteur que «l’autonomie énergétique dans le bâtiment n’est pas utopique». Un pari gagnant puisque 70% des appartements ont déjà trouvé acquéreurs. Visite.
A Thierrens, dans la commune de Montanaire (VD), s’achève un projet immobilier unique en Suisse: «Notre quartier est parfaitement autonome du point de vue énergétique», expose fièrement Marc Ponzio, concepteur et futur habitant. Son projet incarne une véritable vitrine des possibilités contemporaines en matière d’optimisation énergétique. Le futur quartier a suscité la curiosité loin à la ronde, jusque dans l’administration fédérale. Marc Ponzio est ainsi monté à Paris lors de la COP21, où il a participé à vanter l’innovation helvétique aux côtés d’autres créateurs de projets novateurs, comme Solar Impulse.
Financé uniquement par des fonds privés, le quartier est également apprécié par le canton de Vaud, qui salue l’initiative de l’ingénieur et y voit la preuve que «l’autonomie énergétique dans le bâtiment n’est pas utopique». Pionnière en Suisse, la loi vaudoise sur l’énergie prévoit depuis 2014 que les nouvelles constructions couvrent au moins 20% de leurs besoins électriques de manière renouvelable.
Le quartier à Thierrens comporte trois bâtiments, quinze appartements et deux bureaux. Son budget, qui s’élève à près de 8 millions, comporte des surcoûts d’environ 20% en comparaison avec un chantier traditionnel. A deux mois de la fin des travaux – le quartier devrait être terminé mi-décembre –, le pari semble toutefois gagnant: 70% des appartements ont déjà trouvé acquéreur. «Sans aucune pub!» ajoute le concepteur. Qui souligne que le tarif de ses logements est «calé sur les prix du marché». Le Temps a fait le tour du propriétaire.
«Toutes les technologies disponibles»
«100% d’autonomie, c’est très complexe à atteindre, mais imaginez que tous les nouveaux bâtiments du pays tournent autour de 60-70%... Les économies seraient incroyables»
MARC PONZIO, INGÉNIEUR MARC PONZIO INGÉNIEUR À L’ORIGINE DU PROJET
«L’énergie produite sur place est suffisante pour alimenter les véhicules électriques personnels»
Objectif principal: l’efficience énergétique. Outre des panneaux photovoltaïques, Marc Ponzio a utilisé sur les toits une technologie qu’il qualifie volontiers de «botte secrète». Alliant solaire et thermique, cette invention produite par la firme Solarus aux Pays-Bas se présente sous forme de caissons concaves damés de miroirs et traversés de part en part par des tuyaux recouverts de capteurs solaires. La technique mise en place permet de simultanément produire du courant et chauffer de l’eau, qui est ensuite acheminée vers un réservoir. Colosse de métal de 85 000 litres dressé entre deux bâtiments, celui-ci couvre les besoins de chauffage et d’eau chaude de tous les logements. La cuve permet également de redistribuer de la fraîcheur en été.
Au photovoltaïque et au thermique s’ajoutent trois petites éoliennes de 4 mètres de haut, qui profitent des bourrasques du plateau du Jorat pour turbiner des kilowatts supplémentaires. Le site est calculé pour être autonome sur la base du mois de janvier, le moins propice à la production de courant, et devrait être parfaitement autonome à l’année. La production serait même excédentaire. «On pourrait couper le réseau!» affirme l’ingénieur. Qui précise que ses bâtiments sont tout de même reliés au secteur: «Pas pour s’y approvisionner mais pour redistribuer l’énergie en trop.» Si la majeure partie du courant produit est stocké dans une batterie, le surplus est lui redirigé dans les installations de Romande Energie.
La philosophie Blue Planet
Les installations solaires et thermiques ne représentent toutefois que la partie émergée de l’iceberg d’efficience énergétique mis en place à Thierrens. Un système de récupération d’eau de pluie permet par exemple à l’édifice d’alimenter WC, machines à laver et autre système d’arrosage des plates-bandes. Les matériaux choisis dans la construction sont en outre non allergènes et les entreprises impliquées sur le chantier régionales: «La boîte la plus éloignée, c’est les électriciens d’Yverdon!» plaisante l’ingénieur. Si autant d’attention a été portée à la provenance des partenaires, équipements et matières premières, c’est parce que Marc Ponzio est un adhérent de la philosophie Blue Planet. Ce concept, développé par un économiste belge, prône aux côtés de l’efficience énergétique la valorisation du local et la réutilisation des déchets. Dont acte: «Quinze personnes ont été recrutées aux alentours – dont les maçons du village –, tandis que la chaleur des eaux usées est récupérée avant son évacuation.»
Cerise sur la bâtisse, un parking souterrain offre 26 places pour véhicules électriques. «Contrairement aux écoquartiers qui se développent actuellement en banlieue lausannoise, la voiture reste ici nécessaire. L’énergie produite sur place est toutefois suffisante pour alimenter en courant les moyens de transport personnels.» L’équivalent de 60 kilomètres de recharge électrique par voiture et par jour ouvrable est ainsi offert aux habitants/compris dans le bail. La distance n’est pas un hasard: pile un aller-retour à Lausanne. Commerçant, Marc Ponzio souligne que ce trajet journalier revient en moyenne à 4500 francs par année à la pompe. «Alors qu’ici ça ne coûterait rien!»
«Nous n’avons pas les réponses à tout»
Exception au régional à tout prix: les équipements, notamment sanitaires. Ceux-ci proviennent pour beaucoup de l’étranger, «faute d’industrie restante en Suisse». Ce qui ne pouvait être trouvé sur place a toutefois été cherché aussi proche que faire se peut et «rien n’est chinois», assure le promoteur. Si en termes d’isolation le choix s’est porté sur du polyéthylène à base de pétrole, il existe également une explication: «L’énergie grise (énergie consommée sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit, ndlr) est amortie en une année tellement c’est efficace», précise l’ingénieur, soucieux de la cohérence de sa démarche.
Quid des matériaux rares contenus dans les nombreuses cellules photovoltaïques qui couvrent ses bâtiments? Marc Ponzio déclare avoir réfléchi au problème depuis le début du projet. Le rendement compense rapidement l’impact écologique des panneaux, assure l’ingénieur. Le producteur des batteries garantit également leur recyclage «à près de 100%».
La démarche peut encore être perfectionnée: «Nous n’avons pas les réponses à tout», concède Marc Ponzio. Qui attend désormais avec impatience la deuxième étape du processus: celle de l’analyse. «C’est un travail de démonstration fonctionnel que nous avons là, déclare l’ingénieur, mais il reste des calculs d’ajustement à faire.» Dans ce cadre, des partenariats conclus entre autres avec l’EPFZ et le Centre suisse d’électronique et de microtechnique de Neuchâtel permettront à des étudiants de venir observer le locatif dans des bureaux spécialement prévus à cet effet. Convaincu, Marc Ponzio espère par la suite que ce projet contribuera à promouvoir le solaire en Suisse: «100% d’autonomie, c’est très complexe à atteindre, concèdet-il, mais imaginez que tous les nouveaux bâtiments du pays tournent ne serait-ce qu’autour de 60-70%... Les économies seraient incroyables!»
Commune enthousiaste
Syndic et agriculteur dans la commune de Montanaire, dont Thierrens fait partie, ClaudeAlain Cornu salue avant tout l’arrivée prochaine du bureau d’ingénieur Ponzio sur le territoire communal. Une ligne de montage pourrait également voir le jour dans la région, puisque l’ingénieur a négocié l’exclusivité de distribution des panneaux Solarus en Suisse. «Et ça devrait être à Thierrens», se réjouit le syndic. A la clé: vingt places de travail potentielles. La démonstration énergétique du village semble en outre faire des émules: la commune connaît une explosion de demandes d’autorisation de panneaux solaires. «Quand on voit que ça fonctionne!» s’exclame Claude-Alain Cornu.
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