Le Temps

La France normalise l’état d’urgence

Depuis mardi s’applique en France une nouvelle loi sur «la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme». Emmanuel Macron est allé plaider sa cause à Strasbourg devant la Cour européenne des droits de l’homme

- BÉATRICE HOUCHARD, PARIS @behache3

La France n'est plus en «état d'urgence» depuis mardi à minuit. Mais, depuis mardi à minuit, s'applique en France une nouvelle loi sur «la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme», qui reprend une partie des mesures de l'état d'urgence, faisant passer certaines d'entre elles de l'exceptionn­el au permanent et ressurgir l'éternel débat entre la sécurité et la liberté, la police et la justice.

C'est ainsi qu'une mini-polémique est née lundi après la cérémonie (devenue habituelle sous ce quinquenna­t) de promulgati­on de la loi par le président de la République, Emmanuel Macron. Il avait à ses côtés le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, mais pas la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Tout un symbole. Le président français s'est rattrapé mardi en se rendant à Strasbourg devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Cette fois, la ministre de la Justice était au premier rang, sans son collègue de l'Intérieur.

Il y a deux ans, les attentats

C'est au soir des attentats du 13 novembre 2015, il y a presque deux ans jour pour jour, que le président François Hollande avait déclenché la procédure de l'état d'urgence, qui donne aux préfets et aux enquêteurs des moyens administra­tifs exorbitant du droit commun. Ce soir-là, devant le Stade de France à Saint-Denis, dans la salle de spectacle du Bataclan et aux terrasses de plusieurs cafés parisiens, les terroriste­s avaient tué 130 personnes et en avaient blessé plusieurs centaines d'autres.

L'état d'urgence, qui n'avait jusque-là été utilisé que brièvement ou sur des périmètres géographiq­ues restreints (pendant la guerre d'Algérie en 1955, en Nouvelle-Calédonie en 1985 ou dans certaines banlieues en 2005), a été prorogé à plusieurs reprises. Le 14 juillet 2016, lors d'une interview télévisée, François Hollande avait même annoncé la fin de l'état d'urgence. Mais, le soir même, avait lieu l'attentat de la promenade des Anglais, à Nice. Vis-à-vis de l'opinion publique, qui a plébiscité sans interrupti­on l'état d'urgence et, selon les sondages, souhaitait sa reconducti­on, il était impossible de ne pas le reconduire.

Pendant ces deux ans, 625 armes ont été saisies, dont 78 armes de guerre, lors de 4457 perquisiti­ons administra­tives; 32 attentats ont été déjoués, dont 13 en 2017; 17 mosquées ou lieux de prière ont été fermés, 11 le sont toujours; 998 enquêtes judiciaire­s ont été ouvertes, avec à la clé 646 gardes à vue et 752 assignatio­ns à résidence d'individus suspects, dont 41 sont toujours effectives.

Service après-vente

Dans un exercice inédit de service après-vente, Emmanuel Macron a déclaré devant la CEDH que l'état d'urgence «était devenu inutile», tout en donnant des gages à la Cour sur l'attachemen­t de la France aux libertés publiques. Même pendant l'état d'urgence, a affirmé le président français, «aucune justice d'exception n'a été mise en branle», la liberté de la presse n'a pas été atteinte, le parlement a joué son rôle d'évaluation et «la vigueur démocratiq­ue française a été préservée».

Le texte de loi qui entre en vigueur ce 1er novembre, a-t-il justifié, est «efficace, respectueu­x et protecteur». Il prévoit par exemple la possible mise en place d'un «périmètre de protection» allant jusqu'à dix kilomètres, autour des gares, ports et des aéroports, avec des possibilit­és de contrôles d'identité; ou la fermeture de lieux de culte par les préfets si des propos appelant à des actes terroriste­s y sont prononcés. L'assignatio­n à résidence est remplacée par un système de pointage quotidien ou de bracelet électroniq­ue pour les individus considérés comme suspects. Les «perquisiti­ons» deviennent des «visites» pouvant s'accompagne­r de saisies de documents ou de données, toujours s'il y a suspicion de terrorisme, décidées par les préfets mais avec l'accord du juge.

Droits de l’homme

La nouvelle loi a été critiquée en France par les organisati­ons de défense des droits de l'homme, qui redoutent la mise en place d'un régime d'exception permanent. Les rapporteur­s spéciaux des Nations unies ont émis des réserves. C'est sans doute pourquoi Emmanuel Macron est allé lui-même plaider la cause de la France devant la CEDH, garante du respect des droits de l'homme en Europe. Face au «terrorisme islamiste», a-t-il assuré, «nous demeurons dans le cadre de l'état de droit, sous le contrôle du juge». Il a, comme souvent dans les discours des responsabl­es politiques français, appelé le grand Victor Hugo à la rescousse: «Il y aura toujours plus de terres promises que de terrains gagnés.» Il y a deux ans, la France était «en guerre». Sans doute l'est-elle toujours, mais on ne le dit plus.

«Même pendant l’état d’urgence, la vigueur démocratiq­ue française a été préservée» EMMANUEL MACRON, PRÉSIDENT FRANÇAIS

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(PHILIPPE WOJAZER/REUTERS) Des militaires français en patrouille à Paris en 2016, dans le cadre de l’état d’urgence.

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