Massoud Barzani, vrai départ et faux-semblants
Après douze ans, le président du Kurdistan irakien quitte son poste, à la suite du référendum sur l’indépendance. Pour mieux rester au centre du jeu?
L’homme de toutes les batailles, plus de cinquante-cinq ans d’expérience politique, et près de douze ans passés à la présidence du Kurdistan irakien: pour Massoud Barzani, la journée de mardi signifiait officiellement la fin de cette longue carrière. Dimanche dernier, il avait annoncé de manière dramatique qu’il renonçait à son poste de président pour le 1er novembre. Une façon de prendre acte d’une énorme erreur politique: en organisant, fin septembre, un référendum sur l’indépendance du Kurdistan d’Irak, le vieux combattant de 71 ans s’était mis, peu ou prou, tout le monde à dos. En quelques semaines, privé de soutien international, il a dû faire face aux foudres de Bagdad, dont les troupes se sont emparées d’une bonne partie des ressources pétrolières de la région.
Seul interlocuteur
La reconnaissance d’une défaite cinglante, vraiment? L’annonce de ce retrait n’impressionne pas Adel Bakawan, chercheur associé à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS). «Avec son poste de président ou sans lui, Massoud Barzani restera ce qu’il est: le seul acteur qui continue de symboliser la mémoire kurde, et le seul interlocuteur indispensable dans la région. En procédant à ce retrait de façade, il a apaisé la situation et absorbé la colère provoquée par le référendum. Mais cela ne change rien sur le fond; aucune décision ne se prendra sans lui.»
Pour le chercheur, qui est aussi directeur général du Kurdistan Centre for Sociology, les choses sont claires: alors que la région compte quelque 147000 combattants (les célèbres peshmergas), seul un petit quart d’entre eux dépendent du gouvernement régional du Kurdistan. L’essentiel est ailleurs: au service des deux grands partis qui se répartissent la région, le PDK de Massoud Barzani (qui règne en maître dans le nord) et l’UPK de son rival, du clan Talabani, puissant dans le sud. Idem pour les ressources économiques, concentrées quasi exclusivement dans les mains des bureaux politiques de ces deux partis.
«Barzani se retire avec l’aura de celui qui a tenté de franchir le pas de l’indépendance, enchaîne Jordi Tejel, professeur à l’Institut d’histoire de l’Université de Neuchâtel. Mais il laisse derrière lui une crise institutionnelle, une perte significative de territoire et il a été lâché par les Etats-Unis et les Européens.»
L’administration de Donald Trump, de fait, avait exercé de fortes pressions pour que Massoud Barzani renonce à son idée de référendum, allant jusqu’à lui promettre d’intervenir puissamment en sa faveur lors de futures négociations avec Bagdad. Au lendemain du référendum, la Turquie, pourtant un allié traditionnel, s’était associée avec Bagdad et Téhéran pour faire plier le président. Et Washington n’a pas sourcillé lorsque l’armée irakienne, soutenue par des dizaines de milliers de miliciens chiites (entraînés, équipés et financés par l’Iran), s’est emparée notamment de la ville de Kirkouk et de ses gisements pétroliers, dépouillant les Kurdes de tous les territoires qu’ils avaient préalablement conquis aux djihadistes de l’Etat islamique.
«En réalité, la perception générale au sein du PDK et des élites kurdes, c’est que la situation actuelle ne peut être que temporaire», affirme Adel Bakawan. A Erbil, tout le monde se préparerait à la nouvelle étape, jugée inéluctable: un durcissement supplémentaire entre les Etats-Unis et l’Iran et, derrière lui, une nouvelle montée de tensions, en Irak, entre chiites et sunnites. «Dans ce cas de figure, les Etats-Unis se tourneront de nouveau vers les Kurdes. Et peu importe quelle place officielle occupe Massoud Barzani. Il restera le pivot de la situation.» A qui voulait l’entendre, Barzani répétait que l’organisation d’un référendum était certes risquée, mais que le risque pour les Kurdes de rester en Irak était encore plus grand.
Des élections générales sont prévues en Irak en mai prochain. Une perspective qui ne pousse pas à l’optimisme tant le premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, extrêmement fragilisé, devra donner des gages de fermeté pour séduire les secteurs chiites irakiens les plus radicaux.
Mais un malheur n’arrive jamais seul: en annonçant son retrait, Massoud Barzani a eu des mots très durs contre une branche de l’UPK, qu’il a accusée de «trahison» du fait que ses combattants avaient refusé de se battre à Kirkouk face à la progression des troupes irakiennes et des miliciens chiites.
Entre 1994 et 1996, peshmergas du PDK et de l’UPK s’étaient déjà livrés une guerre civile sans merci. «A l’époque, ils se battaient de part et d’autre avec de simples kalachnikovs. Or, pour mener la guerre contre l’Etat islamique, ils ont été surarmés par l’Occident et disposent aujourd’hui d’un équipement considérable», souligne Adel Bakawan, qui voit comme «très probable» une future confrontation entre les frères ennemis kurdes.
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Le vieux combattant de 71 ans s’était mis, peu ou prou, tout le monde à dos