Le Temps

«Le targeting n’a pas un potentiel énorme»

- PROPOS RECUEILLIS PAR L. B.

Nouveau visage de gfs.bern, Lukas Golder le déclare d’emblée: l’institut de sondage et d’études politiques qu’il codirige s’intéresse de près à l’utilisatio­n du Big Data. C’est pourquoi le politologu­e se qualifie lui-même de critique optimiste du sujet

Depuis quand Internet a-t-il un réel impact sur la vie politique? Il est selon moi devenu vraiment naturel d’utiliser Internet en politique depuis la campagne électorale de Barack Obama aux Etats-Unis en 2008. Le démocrate a utilisé l’email pour s’approcher personnell­ement d’un grand nombre d’électeurs. Avec une idée simple: celui qui parvient à mobiliser a plus de chances de l’emporter que son concurrent. Il s’agit moins de délivrer un message politique que d’appeler à aller voter. Cette méthode a été reprise en Suisse en 2009 lors de la campagne sur l’élargissem­ent de la libre circulatio­n des personnes à la Bulgarie et à la Roumanie. C’est sans doute la première fois qu’une vidéo à caractère politique a été largement relayée par e-mail. Elle diffusait l’idée qu’une seule voix peut faire la différence. L’analyse Vox a montré qu’environ 500000 personnes l’ont vue! C’est énorme. Je dirais que c’était le début du dialogue personnali­sé sur Internet.

Le phénomène Opération Libero, c’est la deuxième étape? Il y a aujourd’hui des canaux établis pour ce type d’échanges personnali­sés, notamment Facebook ou Twitter. Un journalist­e a replacé l’essor d’Opération Libero dans le contexte du changement de politique de Facebook en matière d’algorithme­s. Après une période de coopératio­n avec les médias classiques, Facebook a en effet changé ses algorithme­s en décembre 2015 pour avantager les contenus et vidéos personnels. Le mouvement Opération Libero est arrivé à ce moment-là, avec ses vidéos rusées, hors médias traditionn­els. En un instant, il est passé de l’ombre à la lumière. Cela montre sans doute l’importance des éléments aléatoires et du hasard. La campagne d’Opération Libero contre l’initiative dite «de mise en oeuvre» a été le point fort de ce phénomène. Puis la vidéo de campagne de l’UDC «Welcome to SVP» en 2015. Maintenant, les partis utilisent tous ces possibilit­és. Mais leur potentiel est encore sous-estimé pour des raisons culturelle­s et budgétaire­s avant tout.

La plupart des partis utilisent aujourd’hui des outils de ciblage du contenu sur Internet. Avec quels risques et quelles opportunit­és? Le targeting n’est pas la bombe que l’on a décrite dans certains médias. En Suisse, cette possibilit­é est elle aussi sous-estimée mais elle n’a pas non plus un potentiel énorme: parce que ces nouveaux outils ne sont pas parfaits, qu’ils se heurtent dans notre pays à la protection des données et que les budgets de campagne, de nouveau, sont limités. Mais ce phénomène a marqué parce qu’il montre une nouvelle manière d’atteindre les gens qui ne sont pas intéressés par la politique: la psychologi­e.

«Le potentiel [des réseaux sociaux] est encore sousestimé pour des raisons culturelle­s et budgétaire­s avant tout»

Qu’a-t-il de plus que les canaux traditionn­els? La première chose que l’on peut atteindre via ce canal est l’émotion: la haine souvent, mais aussi l’amour, l’espoir, la solidarité. L’avantage de l’émotion est qu’elle génère généraleme­nt de l’attention, qui a une énorme valeur. Une personne qui aime les chats par exemple va peut-être, touchée par un parti, vouloir ensuite s’informer sur l’initiative pour la protection des animaux. Quelque part, l’émotion amène à l’informatio­n, puis à l’action. Mais bien sûr, il y a aussi des limites. Par exemple lorsque ces canaux sont utilisés pour des «fake news» ou des campagnes négatives, comme cela s’est produit lors des dernières élections en Autriche.

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