Le Temps

L’un assure, l’autre fissure, et le public adore

Un duo Yann Lambiel-Marc Donnet-Monay, c’est la rencontre du virtuose et du trouble-fête. Découvert à Lausanne la semaine dernière, avant une grande tournée romande, le spectacle «Nous» profite au poète

- MARIE-PIERRE GENECAND

Entre les deux, on préfère toujours l'Auguste. Le maladroit, l'hésitant, celui qui, par son innocence et son insolence, bouscule les plans du clown blanc. Nous, duo qui rassemble pour la première fois Yann Lambiel et Marc Donnet-Monay, n'échappe pas à cette loi. Entre l'imitateur virtuose et l'humoriste qui bafouille, le coeur des spectateur­s lausannois n'a pas hésité, lors de la première, jeudi dernier au Métropole. Marc Donnet-Monay, qui signe le spectacle, a fait hurler de rire quand le surdoué de Saxon a plutôt suscité des sourires d'admiration. Mais c'est sa force aussi, à Yann Lambiel. Avoir su s'effacer pour que le spectacle gagne en tendresse ce qu'il perd en mécanique de précision.

Yann Lambiel, le maître des shows étourdissa­nts. Comme Zapping, ce tour de force de 2012 où l'imitateur retraçait cinquante ans de télévision à travers 280 vignettes express qui allaient de Maître Capello à Dalida en passant par Georges Marchais et Cloclo. Une folie de vitesse et de virtuosité. A l'époque, le brillant Romand voulait monter à Paris et conquérir le public français. D'où son abandon de ses politicien­s préférés, Micheline Calmy-Rey, Daniel Brélaz, Pascal Couchepin, etc., au profit des icônes du show-biz d'à côté...

Est-ce parce qu'il est né à Genève? Marc Donnet-Monay, Valaisan lui aussi, ne travaille pas sur ce versant solaire et décoiffant. Son registre, c'est le tremblé, le croquis. Ses difficulté­s de père, de citoyen et de séducteur font son beurre. Et ça marche, parce que l'immense comique – il doit mesurer près de deux mètres – parle des cailloux dans la chaussure qui gênent la marche de tout un chacun. On s'y retrouve et on rit de ce dévoilemen­t.

Pourquoi ces deux joyeux se sont-ils associés pour Nous, ce spectacle mis en scène par JeanLuc Barbezat et destiné à une grande tournée? Parce qu'ils en avaient envie, tout simplement. Et l'alliance fonctionne. Sur le modèle décrit plus haut. D'un côté Hardy qui plastronne, de l'autre Laurel qui questionne. Ce début, par exemple, où Lambiel, en parfait danseur, enchaîne déhanchés et pirouettes pour lancer la soirée quand Marc Donnet-Monay, à contretemp­s, brise l'élan et dit qu'«il ne veut surtout pas parler de ses enfants». Ce qu'il fait évidemment, abondammen­t. Et il a raison, car le terrible ennui du dimanche après-midi à jouer au Uno en attendant désespérém­ent l'heure du TJ est simplement hilarant. Ou, pour citer l'auteur, «les dimanches après-midi quand il pleut, c'est pas l'extase brute».

Imiter, c’est une histoire de paliers

Auparavant, MDM a déjà allumé Lambiel sur sa «petite taille» et plus tard, le grand brun prétendra détenir la palme de l'imitation avec une contrefaçon de George Clooney. Exercice évidemment raté qui déclenche l'hilarité. De son côté, Lambiel ne lâche pas l'affaire. Il reprend une démonstrat­ion sidérante, celle des paliers. Imiter, dit-il, c'est placer sa voix un peu plus ici, un peu plus là. Et de passer de Bourvil à Ruth Dreifuss puis à Laspalès en suivant ce fil d'infimes variations. C'est bluffant, mais un peu appliqué pour séduire vraiment.

Alors que quand le grand brun, encore lui, parle du système des appréciati­ons scolaires qui devrait aller d'«éblouissan­t» à «mythique» en passant par «parfait» pour ne pas traumatise­r les élèves, l'audience est à nouveau en transe. Pareil, lorsqu'il prétend que les actes terroriste­s, «c'est encore un coup des bouddhiste­s ou des capucins», pour ne pas fâcher les islamistes. La salle est pliée de rire.

D’un côté Hardy qui plastronne, de l’autre Laurel qui questionne

Laïcité viticole

Soyons juste. Souvent, les sketches à deux, en mode pingpong verbal avec ou sans imitations, dérident la salle. C'est le cas de la laïcité viticole, où il est dit que l'inertie du canton de Vaud est le meilleur antidote au djihadisme. Ou celui des vertiges de la technologi­e dans lequel un malheureux amoureux se fait quitter et insulter parce qu'il n'a pas répondu à son message WhatsApp dans le quart d'heure. Sans oublier le duel de «valaisanni­tude» entre les deux perles de ce canton romand. A qui l'ancêtre le plus reculé? Tiens, il se pourrait bien que les drôles soient petits-petits-petits-cousins…

De bout en bout, leur complicité charme. Ils se torpillent avec tendresse et quand tout explose à la fin, leur bouderie est encore un beau moment de fraternité. Johnny Hallyday n'a qu'à bien se tenir. Entre ces deux, pas besoin de promesses, ni de feu. Ils ont, à leur manière, très complément­aire, trouvé leur Tennessee.

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