La prédiction accomplie des Astros
La franchise de Houston, «pire équipe» de la Ligue majeure entre 2011 et 2013, a remporté les World Series face aux Dodgers de Los Angeles. Une sensation que «Sports Illustrated» avait pronostiquée en 2014
Au baseball, comme dans le rêve américain, tout est possible «La chose la plus remarquable avec les Astros, c’est qu’ils n’ont jamais prétendu détenir une boule de cristal, ni qu’ils ne feraient jamais d’erreur» BEN REITER, JOURNALISTE AU MAGAZINE «SPORT ILLUSTRATED»
Le baseball a beau être un sport en perte de vitesse aux Etats-Unis, l e dénouement de l a Ligue majeure (MLB) conserve un pouvoir d’attraction intact. Autant la saison régulière est interminable (162 matches en six mois pour chaque équipe), autant la série finale entre le champion de la Ligue nationale et celui de la Ligue américaine captive le pays. Peut-être parce que cette autoproclamée «Série mondiale» (World Series) est une autre manière de raconter l’Amérique.
Au baseball, comme dans le rêve américain, tout est possible. Gagner le titre quand on est des losers depuis 108 ans, comme les Cubs de Chicago l’an dernier. Triompher avec une franchise modeste, comme les Royals de Kansas City en 2015. Remporter les World Series un an après avoir fini derniers de la saison régulière, comme les Red Sox de Boston en 2013. Battre le plus gros budget avec la quinzième masse salariale de la MLB, comme les Astros de Houston, vainqueurs des Dodgers de Los Angeles, mercredi.
Derniers trois saisons de suite
C’est le premier titre pour cette franchise créée en 1962. Au terme d’une série complètement folle, émaillée de nombreux records (dont celui de home runs frappés, égalé par George Springer), les Texans ont tranquillement remporté l a septième et ultime manche (victoire 5-1). Pour ce match, certains tickets derrière le «marbre» (l’endroit où se place le batteur) s’étaient vendus plus de 50 000 dollars sur les sites spécialisés.
Neuf semaines après les ravages de l’ouragan Harvey, les Astros portaient un patch «Houston Strong » pendant ces World Series. Ils y ont peut-être trouvé un supplément d’âme pour aller chercher ce titre auquel pas grand monde ne croyait. Le sport américain a beau être très égalitaire (23 des 30 franchises actuelles ont déjà remporté au moins une fois le titre), les résultats récents des Astros étaient souvent désastreux. Trois fois consécutive-
ment, l’équipe obtint les plus mauvais résultats de la saison, en 2011, 2012 et, malgré son passage en Ligue américaine, encore en 2013.
Le temps de la maturité
En 2014 pourtant, le magazine américain Sports Illustrated avait osé une couverture, considérée alors comme provocatrice mais aujourd’hui exhumée comme une prophétie, qui annonçait Houston vainqueur des World Series en 2017. Encore plus fort: le joueur en photo de une, George Springer, a été désigné mercredi meilleur joueur (MVP) des finales! La seule chose que n’avait pas prévue Sports illustrated est que l es Astros changent de tenue entretemps, l’orange ayant remplacé l’arc-en-ciel.
L’auteur de l’article, Ben Reiter, s’en est expliqué sans triomphalisme la semaine passée, alors que la présence de Houston en Série finale était déjà en soit un exploit. « Il nous avait semblé que les jeunes joueurs des Astros arriveraient à maturité en 2017, cela semblait correspondre plus ou moins au timing de la direction. Trois ans, en baseball, ce n’est pas rien.»
D’autant qu’en 2014, l’histoire est déjà en marche depuis trois
ans. En novembre 2011, le nouveau propriétaire des Astros, Jim Crane, reçoit Jeff Luhnow, ancien vice-président des Saint-Louis Cardinals. Luhnow vient du monde des affaires. Il est entré dans l e baseball en 2003, au moment où la sortie du livre Moneyball, récit de l’expérience de Billy Beane à la tête des A’s d’Oakland, impressionne durablement les propriétaires. Les statistiques peuvent-elles prédire la victoire? Les maths sont-elles plus sûres que les scouts?
Le jeu trouble du «tanking»
Ce que Jeff Luhnow explique en novembre 2011 à Jim Crane, c’est que recruterdes joueu r s sous-évalués avec l’aide du Big Data ne suffit pas. Il faut les encadrer, les laisser mûrir, leur don--
ner du t emps. Accepter de perdre, de finir derniers même pendant quelques saisons. Accepter d’être impopulaires auprès des fans. Il faut jouer le jeu interdit du tanking, cette pratique taboue mais très répandue qui consiste à perdre volontairement des matches en fin de saison afin d’avoir le classement le plus bas possible (il n’y a pas de relégation dans le sport américain), et ainsi obtenir les premiers choix de draft la saison suivante. Pour Luhnow, il n’y a là rien de révolutionnaire, seulement un calcul rationnel. «Nous n’avions pas d’autre c hoi x » ,ass ure- t - i l aujourd’hui.
Petit à petit, l’équipe est constituée. Il y a parfois des échecs, souvent des ajustements. «Au début, ce n’était pas facile, a reconnu le joueur vénézuélien José Altuve, arrivé en 2011, au Houston Chronicle. Mais Jeff Luhnow et Jim Crane n’ont cessé de me dire: «On va être bons, on va être bons. » Alors on s’est accrochés pour faire partie de l’équipe à ce moment-là. Après, quand j’ai vu arriver Springer, Correa et Bregman [trois joueurs majeurs], je me suis dit: cette fois, on y est.»
«Ils ont dit ce qu’ils allaient faire et ils l’ont fait»
«La chose la plus remarquable avec les Astros, écrit Ben Reiter dans Sports Illustrated, c’est qu’ils n’ont jamais prétendu détenir une boule de cristal, ni qu’ils ne feraient jamais d’erreur. Ils en ont fait mais leur objectif était de prendre marginalement plus de décisions correctes que leurs rivaux sur le long terme. Ils ont dit à tout l e monde ce qu’ils allaient faire et ils l’ont fait.»
Leur succès n’est pas juste la victoire de Moneyball. Jeff Luhnow n’est pas un dogmatique. L’an dernier, la franchise texane a certes renouvelé son équipe de scouts, pour des profils plus sensibles aux statistiques, mais a aussi engagé plusieurs joueurs d’expérience, parce qu’il y a des choses que les nombres ne disent pas.
Lors de cette discussion fondatrice en novembre 2011, Jeff Luhnow remit à Jim Crane un document de 23 pages détaillant sa vision. Il lui demanda en échange quelles étaient ses contraintes. Jim Crane lui tendit une feuille blanche.
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