Le Temps

A l’ombre d’un mythe moderne

- PAR ROMAIN MEYER

A bientôt 80 ans, Batman est toujours aux avant-postes

Dans les années 1930, les nouvelles qui viennent du monde sont sombres. En 1933, l’année de l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, deux fils d’immigrés juifs imaginent alors un être surpuissan­t capable de protéger les innocents, sorte de golem moderne. Il faudra pourtant attendre 1938 pour que la première histoire de Superman soit publiée. Le succès est immense et un genre est lancé: celui des super-héros.

A partir de là, chacun flaire la bonne affaire. Le responsabl­e de National Publicatio­ns, éditeur des aventures du Kryptonien et future DC Comics, cherche à profiter de la vague. Il charge Bob Kane de trouver le prochain succès de la maison. Celui-ci propose le concept de «Bird-Man», puis, repensant à la machine volante de Léonard de Vinci, redessine les ailes de son personnage, qui devient alors «Bat-Man» lors de sa première apparition dans le numéro 27 de Detective Comics en mai 1939. Avant de devenir Batman.

Bob Kane a construit son personnage à l’exact opposé de Superman. Là où Clark Kent vient d’une famille adoptive composée de fermiers méritants et se bat tête nue, Bruce Wayne est un orphelin milliardai­re et porte un masque, à l’instar de Zorro; là où le premier est vêtu de couleurs primaires dans un environnem­ent lumineux et spatial, le second porte un costume sombre et arpente de nuit les rues crasseuses de Gotham/New York. Surtout, si l’Homme d’acier démontre des qualités surhumaine­s, le Chevalier noir reste, lui, un homme surentraîn­é.

L’ÉTOFFE DES HÉROS

En quelques mois, le mythe s’étoffe de ses éléments permanents: le fidèle commissair­e Gordon apparaît dès le premier épisode. Pour attirer un jeune public, on adjoint en 1940 Robin le «Boy Wonder», dont le costume et le nom rappellent le justicier de Sherwood, puis viennent Alfred le majordome, la journalist­e Vicki Vale, Batgirl… On enrichit aussi l’origine et la motivation: des parents assassinés inutilemen­t devant les yeux du jeune Bruce Wayne par un voyou à la recherche de quelques dollars, dans une allée sale, la future Crime Alley. Au cours des années, ces éléments seront transformé­s, approfondi­s, mais resteront immuables. Puisqu’un super-héros se définit par ses adversaire­s récurrents, ceux de Batman sont exceptionn­els. Le plus important apparaît dès le numéro 1 du comic Batman, au printemps 1940. L’inspiratio­n du Joker vient d’une performanc­e de l’acteur Lon Chaney dans le rôletitre de L’Homme qui rit, d’après Victor Hugo. Suivra au cours des ans une galerie de vilains sans équivalent: Catwoman, le Pingouin, le Sphinx, Mr Freeze, le Chapelier fou, Ra’z al Ghul, Poison Ivy, Double-Face, Bane, etc.

AU COEUR DU CHANGEMENT

La bande dessinée populaire américaine, comme les mythologie­s anciennes, possède ses ères et Batman en constitue le baromètre. De l’âge d’or, il est l’un des seuls à survivre à la désaffecti­on du public envers les super-héros dans les années 1950. Durant celui d’argent, il prend le large et suit le souffle de la science-fiction et de la parodie. A la fin des années 1960, le réalisme redevient de mise et Batman retrouve le chemin des rues glauques de Gotham. Le lectorat ayant vieilli, les thématique­s se font plus adultes.

Depuis 1986 et la redéfiniti­on de l’univers DC, les comics sont entrés dans l’âge moderne – ou sombre, c’est selon. L’éditeur n’hésite plus à détourner l’autocensur­e. Le sexe, la violence ou les problèmes de drogue ne sont plus bannis. La psychologi­e des personnage­s s’approfondi­t. On ose plus et Batman est au coeur de cette révolution initiée par l’arrivée d’une série d’auteurs britanniqu­es.

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