VIE ET MORT D’UNE VILLE FRANÇAISE
L’anthropologue Eric Chauvier dresse le portrait de Saint-Yrieix-la-Perche, dans la Haute-Vienne, et de sa déréliction sociale et économique
A Saint-Yrieix-la-Perche, petite ville dans le département de la Haute-Vienne, en France, il y avait une piscine municipale. L’anthropologue Eric Chauvier y passait ses étés. Les belles filles de Saint-Yrieix-laPerche, fantasmes inatteignables, regardaient, sans en avoir l’air, les garçons faire des saltos depuis le pied du plongeoir.
C’était dans les années 1980. Eric Chauvier, né en 1971, revient aujourd’hui dans la ville où il est né, se promener avec Nathalie, l’une des «starlettes» de la piscine, qui l’émouvait tant. Il est venu constater les dégâts. La même piscine, envahie par les herbes sauvages et les chats, a été remplacée par «un complexe aquatique moderne et policé». La rue marchande n’a de marchande que le nom. On n’y trouve guère plus qu’un magasin de prothèses auditives. Désormais, les Arédiens vont faire leurs courses dans six supermarchés, en périphérie du bourg: une débauche de marchandises impersonnelles a remplacé les visages familiers des commerçants et des voisins.
NATHALIE «VOTE POUR MARINE»
La moitié de la population a aujourd’hui plus de soixante ans, soit deux mille six cents retraités pour six mille neuf cents habitants. Et le principal pourvoyeur d’emplois, après la municipalité, n’est autre que la maison de retraite. Comme 1500 autres villes françaises de la même taille, Saint-Yrieix-la-Perche s’est vidée.
Nathalie «vote pour Marine» et Eric essaie de donner sens au naufrage, d’en faire un cas d’école. Les deux anciens camarades traversent les rues, essayant de comprendre ce qui s’apparente de plus en plus à un «non-lieu». Un habitant a proposé de remplacer les vitrines désertées par des décalcomanies, cache-misère et trompe-l’oeil, pour donner l’illusion que boutiques et cafés sont encore ouverts, que la ville a su conserver «un peu de vie». Mais les édiles n’ont pas donné suite.
En à peine 106 pages, Eric Chauvier raconte l’histoire du capitalisme, de l’économique mondialisé, montre ses effets sur les consciences et la fin du vivre ensemble. Il parle de cette humiliation qui dope le vote FN. La ville devient floue, absurde, illisible, parcourue de somnambules incapables de se révolter contre leur déprise progressive. Saint-Yrieix-la-Perche compte tout de même encore trois librairies indépendantes, l’auteur forcerait-il le trait? Il voit ce qui est encore à venir. Les autorités locales, elles, positivent: si la maternité a fermé, on vient d’ouvrir un McDonald’s.
Mélancolique et brutal, ce livre parvient, dans ses premières pages, à mêler récit et concepts, mais penche ensuite du côté du discours socio-économique, au risque de redevenir plus sec, et local. Il s’agit pourtant d’une fable universelle, qui devrait parler aussi à de nombreux habitants de petites villes suisses.