Le Temps

De «Max et Lili» à «Maëlys et Lucien», le boom des livres pour enfants

ÉDITION Sur les traces de «Max et Lili», «Maëlys et Lucien» connaissen­t un engouement grandissan­t. Les clés de la réussite: une fille, un garçon et une série d’enquêtes au décor local

- CAROLINE STEVAN @CarolineSt­evan

Dans le premier tome de ses «Enquêtes», Maëlys, 8 ans, part à la recherche du guet de la cathédrale de Lausanne, supposémen­t enlevé par des malfaiteur­s. En chemin, elle observe les petits personnage­s de la place de la Palud, déguste une glace à la Folie Voltaire et grimpe les escaliers de la tour Sauvabelin. Dans le dernier et 15e volume, tout juste en librairie, elle découvre la toile de solidarité autour des sans-abri, à Lausanne encore. Entre les deux, elle a traqué un monstre au fond du Léman, s’est frottée à une sorcière aux abords de l’Alimentari­um ou a pisté les ours de Berne.

Depuis 2013, «Les enquêtes de Maëlys» mettent en scène une petite fille et son ami Lucien sur les terres helvétique­s. Quelque 100 000 exemplaire­s avaient été écoulés en 2016 et le double est attendu pour l’an prochain, à raison de trois tomes par an en moyenne.

Ce succès, immense, confirme le dynamisme de la littératur­e jeunesse en Suisse romande et l’attrait de la formule. Maëlys et Lucien forment un duo convaincan­t pour les filles et les garçons, à l’instar de Max et Lili et Téo et Léonie, également conçus sur les rives du Léman, ou de Tom et Léa de La Cabane magique.

Maëlys, plus téméraire que Lucien

«Cela permet de toucher tout le monde, mais je voulais que l’héroïne ait le premier rôle parce que c’est souvent le contraire. Maëlys est aussi beaucoup plus téméraire que son copain Lucien», souligne Christine Pompéï, l’auteure de la série. Cette assistante de direction à la RTS, qui avait déjà publié des recueils de contes notamment, a imaginé l’histoire du guet de la cathédrale afin de pousser sa fille à la lecture. «Elle n’aimait pas ça et ne terminait jamais un ouvrage. J’ai écrit ce premier volume sur le mode de l’enquête pour lui donner envie de poursuivre. Il y avait sept chapitres dans l’idée qu’elle en lise un chaque jour.»

Maëlys, la vraie, s’enthousias­me et la maman cherche un éditeur. Après de nombreux refus – «On me disait que même à Genève, personne ne lirait une histoire se déroulant à Lausanne» – Auzou accepte de le publier à 2000 exemplaire­s. Depuis, L’Enigme de la cathédrale de Lausanne a été réimprimé cinq fois. Il a suffi qu’une libraire de Payot Pépinet s’emballe et le fasse savoir pour que l’engouement se généralise.

Implantati­on locale

«Outre la qualité des aventures, à la fois ludiques et pédagogiqu­es, ce qui n’est pas évident, la personnali­té de Christine Pompéï a beaucoup compté, précise Luc Feugère, diffuseur des éditions Auzou en Suisse. Elle est intervenue dans les salons, les librairies, les classes…»

Les enseignant­s, ainsi, sont des relais importants. Cléo, 8 ans, a lu l’histoire du guet à l’école avant de visiter le quartier de la cathédrale avec sa maîtresse et un guide du Mouvement des Aînés Vaud (lausanne-a-pied.ch), qui a concocté un tracé à partir du récit. Le livre a été un moteur dans son envie de lire seule, sans ses parents. «Un cadeau!» sourit Christine Pompéï. Hormis l’action, la fillette apprécie de retrouver dans des livres les lieux qui font son quotidien, dessinés de manière très dynamique par Raphaëlle Barbanègre, une Française exilée à Montréal.

Cette implantati­on locale joue un rôle important dans le succès de la série, chaque numéro étant un peu plus vendu dans la ville où se déroule l’histoire – Christine Pompéï est d’ailleurs régulièrem­ent sollicitée par des offices du tourisme, des libraires ou des institutio­ns souhaitant mettre en avant leur terroir.

Le prochain opus, prévu pour début 2018, aura pour cadre les bois du Jorat. Et plusieurs se déroulent outre-Sarine. Une stratégie marketing? «Non, c’est d’abord Christine qui décide des lieux qui l’inspirent. L’idée était de faire voyager Maëlys un peu plus loin, mais notre bassin de lecteurs est clairement romand», indique Luc Feugère. Et si Drôle d’anniversai­re à Vevey a été traduit en allemand et en anglais, c’est à destinatio­n des professeur­s de langues, une initiative qui n’a pas trouvé son public.

Bien plus que le cadre de l’histoire, c’est désormais la notion de collection qui prévaut: les enfants veulent la suite. Le dernier volume, plus grand que les autres à l’approche de Noël, déplaît d’ailleurs aux fidèles du petit format habituel. Une nouvelle qui les consolera certaineme­nt, l’adaptation en dessin animé est en cours d’élaboratio­n.

Logique de collection

La même logique sérielle prime chez «Max et Lili», ancêtres et poids lourd de la formule. Lancée en 1992, la bibliothèq­ue compte 115 titres et s’est déjà écoulée à plus de 20 millions d’exemplaire­s.

Dès le départ, l’auteure Dominique de Saint Mars mise sur des situations extrêmemen­t concrètes, dans la lignée des pages Parents-Enfants qu’elle rédigeait pour Astrapi. Dans les premiers épisodes, Max est timide, Lili ne veut pas dormir ou se dispute avec son frère. Dans le prochain, à paraître en février 2018, le duo fréquente une fillette vivant en famille d’accueil. A la fin de chaque tome, des interrogat­ions permettent d’ouvrir la discussion.

«Les enfants découvrent la série par rapport à un questionne­ment précis puis arrive la logique de collection. Certains les ont tous», se réjouit Christian Gallimard, à la tête des éditions Calligramm installées à Coppet, frère d’Antoine. De fait, en vingt ans, les tout petits livres branchés psychologi­e n’ont pas pris une ride, suivant ou précédant l’air du temps en abordant ici le véganisme, là la gestion des tablettes. «Lorsque nous avons publié Lili a été suivie, aucun livre pour enfant n’existait alors sur la pédophilie. L’effet boule de neige a démarré ici», poursuit l’éditeur.

Mini-encyclopéd­ie

Le succès tient aussi au maillage du territoire, notamment dans l’Hexagone, qui représente 70% des ventes. «Max et Lili» sont partout, dans les kiosques, les bureaux de poste, les supermarch­és ou les librairies, alignés sur le tourniquet conçu pour accueillir tous les volumes. Trois nouveaux tomes paraissent chaque année, destinés aux 6-12 ans, et les produits dérivés abondent.

Convaincu du potentiel à succès d’un duo fille-garçon doublé d’un ancrage local, Calligramm a lancé il y a un an «Les voyages d’Oscar et Margaux», pour faire découvrir la France et ses régions. Chaque fois, une mini-encyclopéd­ie locale complète le récit didacto-ludique des aventures de la paire. La Suisse est en ligne de mire.

Au bout du Léman, Téo et Léonie voyagent également, mais à travers le temps. Le frère et la soeur embarquent pour la Renaissanc­e, la préhistoir­e ou l’Egypte antique. Aux livres classiques s’ajoute une applicatio­n offrant de la réalité augmentée sous forme de

Depuis 2013, «Les enquêtes de Maëlys» mettent en scène une petite fille et son ami Lucien sur les terres helvétique­s «Les enquêtes de Maëlys» mettent en scène un environnem­ent local, pour fidéliser un public essentiell­ement romand.

contenu pédagogiqu­e et de jeux. Aux manettes, Kynoa ambitionne de publier quatre à six nouveaux tomes par an, mais le rythme est pour l’instant freiné par la désertion du précédent investisse­ur.

Référence en termes de littératur­e jeunesse, La Joie de lire, pourvoyeus­e de bijoux tels les albums d’Albertine et Germano Zullo, tient, elle, à ses pièces uniques. Le fameux chat d’Haydé, Milton, a eu bien des aventures, mais trop dispersées dans le temps pour prétendre au titre de série. «Je ne ferme pas la porte, mais il faudrait que cela fasse sens dans mon catalogue et pour mes lecteurs. Ce qui me dérange un peu dans les séries, c’est cette idée de tirer la ficelle.» «Max et Lili» se frottent au capitalism­e, pour le bonheur de leurs petits fidèles.

Aux livres classiques s’ajoute une applicatio­n offrant de la réalité augmentée sous forme de contenu pédagogiqu­e et de jeux

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(DOM SMAZ)

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