Les infirmières exigent plus de droits par rapport aux médecins
Les infirmières et infirmiers de Suisse déposent mardi une initiative visant à revaloriser leur activité. En gagnant davantage d’indépendance, ils espèrent lutter contre la pénurie qui frappe la profession. Reportage avec une infirmière à domicile
Lorsqu’elle monte dans sa voiture, le lundi à 7h, prête à enchaîner ses cinq visites de la matinée, Christelle Haussener, infirmière à domicile, n’a pas l’impression de «réaliser une vocation» mais bien d’exercer une profession. Les patients chez qui elle s’arrête sont aussi différents que les soins qu’elle leur prodigue. Elle passe chez l’une deux fois par jour afin de lui apprendre à effectuer sa dialyse péritonéale, chez l’autre pour lui contrôler la tension, lui remplir son semainier ou lui refaire son pansement.
Le contact quotidien et direct, c’est Christelle qui l’a avec ses malades et elle développe ainsi une expertise en matière de soins adaptés. Ils ne voient leurs médecins que beaucoup plus rarement. Pourtant, l’infirmière doit encore systématiquement en référer à ces derniers avant d’administrer des soins infirmiers.
Le plus grand projet de l'histoire de l'association
Mardi, les infirmières et infirmiers de Suisse ont rendez-vous en habit de travail sur la place Fédérale bernoise pour déposer leur initiative «Pour des soins infirmiers forts», signée cette année par 120 000 personnes. L’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) parle du plus grand projet de politique professionnelle de son histoire. Il s’agit de revaloriser la profession en définissant certaines prestations qui seront effectuées par les infirmiers de manière autonome, sans ordre médical. Aujourd’hui, la loi sur l’assurance maladie (LAMal) leur refuse la possibilité de facturer directement leurs prestations aux caisses maladie. Tout doit passer par le mandat d’un médecin.
«Nous demandons que les prestations qui relèvent de l’évaluation, du conseil, de la coordination, de l’enseignement et des soins de base ne soient plus soumises à prescription médicale», explique Christelle Haussener, qui porte également la casquette de secrétaire générale de l’ASI Neuchâtel-Jura. «Les actes médico-délégués, tels que les pansements par exemple, resteront prescrits par le médecin, mais ce sera à nous de gérer leur fréquence.»
Monter un réseau
Tout en expliquant cela, l’infirmière se presse pour arriver à l’heure chez un patient dans les hauts de Neuchâtel, car, lorsqu’elle est en retard, il lui fait la tête. Tout va bien, il lui a préparé des bricelets. Ces rendez-vous médicaux à domicile structurent la semaine, voire la journée de ses malades: ils amènent du lien social. Christelle Haussener s’occupe de monter un réseau autour d’eux pour prendre le relais. Chez certains, la Croix-Rouge passe pour la toilette, l’ergo ou la physiothérapeute apportent des soins complémentaires. Chaque patient dispose d’un dossier sur lequel chaque prestataire note ses interventions. Lors d’une hospitalisation, le personnel médical s’y réfère puis le rend à Christelle lorsque son patient rentre à domicile.
Après avoir travaillé des années en hôpital, la Valaisanne d’origine s’est lancée en indépendante. Elle s’est ainsi soustraite à certaines conditions qui lui pesaient, pour retrouver une autonomie dans ses propres compétences. Chaque année, les syndicats du corps de métier dénoncent des situations alarmantes chez les infirmières et infirmiers: «épuisement chronique, surcharge de travail physique et psychique permanente, stress et tensions au travail». Le texte lancé en janvier exige que la Confédération et les cantons prennent des mesures efficaces pour «renforcer la profession». Il demande notamment des investissements dans la formation et des conditions plus attrayantes au niveau des heures de travail et des services de piquet, des possibilités de formation continue, mais aussi une indemnisation appropriée des prestations infirmières.
Qu'en pensent les médecins?
La Fédération des médecins suisses (FMH) soutient les préoccupations de l’initiative populaire pour la reconnaissance et l’encouragement du personnel infirmier. «Le manque de relève est aussi une question primordiale pour le corps médical», déclare Jürg Schlup, président de la FMH. «L’initiative vise à garantir des soins de santé en prenant compte de la pénurie du personnel spécialisé. Nous soutenons les possibilités de formation pré et postgraduée, la réduction des tâches administratives et la réglementation claire des compétences. L’interprofessionnalité joue un rôle important pour relever les défis à venir dans le domaine de la santé. L’excellente collaboration entre le personnel infirmier et les médecins doit continuer d’être renforcée.»
Christelle Haussener se gare à la va-vite devant l’immeuble de sa dernière patiente de la matinée, et place un petit mot griffonné à la main qui fera peut-être fléchir les contractuels. Avec ses équipements médicaux, elle monte rendre visite à une sexagénaire victime d’un infarctus qu’elle suit depuis son retour à domicile. «Les rendez-vous de cette femme avec son médecin s’espacent et la responsabilité de l’évolution de son état de santé m’incombe. Je considère que les infirmières et infirmiers sont sur un pied d’égalité avec les médecins, mais que nous avons chacun notre domaine de compétences.» C’est pour cette évolution que se battent les infirmiers qui seront réunis mardi devant le Palais fédéral. Dans les soins qu’ils prodiguent, ils ne sont pas les auxiliaires des médecins, mais leurs partenaires. ▅