Les «Paradise Papers» ébranlent le monde offshore
PARADIS FISCAUX Plus de 13 millions de documents ont été remis à un consortium de journalistes internationaux. Les révélations vont se succéder toute la semaine
C’est un nouveau record mondial de fuite de données touchant les paradis fiscaux. Après les Panama Papers en 2016, un consortium de médias internationaux (en Suisse, le groupe Tamedia) a commencé la publication de quelque 13,4 millions de documents des «Paradise Papers». Ces données confidentielles émanent surtout du cabinet d’avocats des Bermudes Appleby.
Peu connue du grand public, cette étude spécialisée dans les montages fiscaux complexes possède une clientèle de haut vol, qui risque de voir ses secrets exposés. Parmi les premières personnalités visées, le secrétaire d’Etat américain au Commerce, Wilbur Ross, un proche de Donald Trump mis en cause pour ses liens d’affaires lucratifs avec la Russie. Ou la reine d’Angleterre, dont le gestionnaire de fortune a investi dans un fonds des îles Caïmans. Ou encore des entreprises comme Nike, Apple, Facebook et Twitter, ces deux géants des réseaux sociaux ayant reçu de substantiels investissements russes à travers le beau-fils de Donald Trump, Jared Kushner.
La Suisse n’est pas en première ligne dans cette fuite, dont l’origine reste inconnue. Mais des entreprises et personnalités helvétiques apparaissent aussi dans les «Paradise Papers». Les documents d’Appleby détaillent les transactions du géant minier zougois Glencore en République démocratique du Congo. L’homme d’affaires fribourgeois Jean-Claude Bastos, très gros investisseur en Angola dont il est aussi ressortissant, est également concerné.
La fuite, qu’Appleby a décrite comme résultant d’une attaque informatique criminelle, illustre la vitalité persistante des places offshore malgré l’offensive de transparence lancée contre elles dès 2008.
Parmi les personnalités visées, le secrétaire d’Etat américain au Commerce ou encore la reine d’Angleterre
Une nouvelle fuite de données géante, les «Paradise Papers», a ébranlé dimanche les paradis fiscaux. Elle établit un nouveau record de volume, avec quelque 13,4 millions de documents confidentiels dérobés à deux fournisseurs de services offshore, le cabinet d'avocats des Bermudes Appleby et, dans une moindre mesure, la fiduciaire Asiaciti Trust.
Origine inconnue
Depuis quelques années, les fuites visant les paradis fiscaux se sont succédé avec une régularité métronomique: Panama Papers en 2016 (données venant de Mossack Fonseca), SwissLeaks en 2015 (HSBC), LuxLeaks en 2014 (Price Waterhouse), OffshoreLeaks en 2013 (Portcullis, une fiduciaire singapourienne). Comme pour les Panama Papers, les documents de la fuite ont d'abord été remis au quotidien allemand Süddeutsche
Zeitung. Son origine précise est inconnue.
Les médias partenaires de l'opération, orchestrée par le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), ont révélé plusieurs noms de personnalités apparaissant dans les documents. Il s'agit notamment du secrétaire d'Etat américain au Commerce Wilbur Ross, actionnaire d'une société de transport qui a réalisé des dizaines de millions de dollars de revenus avec une société dont les propriétaires sont le beau-fils du président russe, Vladimir Poutine, et un homme d'affaires russe sanctionné par les Etats-Unis. La reine d'Angleterre est également citée: elle aurait investi des millions de livres à travers un fonds secret du duché de Lancaster. Parmi les entreprises, Twitter, Apple et Nike font l'objet de révélations sur leurs pratiques d'optimisation fiscale.
Des personnalités et des entreprises suisses concernées
Des personnalités et entreprises suisses sont aussi concernées. Notamment le géant des matières premières Glencore, basé à Zoug, qui était l'un des plus gros clients d'Appleby. Les documents dérobés à l'étude d'avocats décrivent ses relations en République démocratique du Congo (RDC) avec le très controversé milliardaire israélien Dan Gertler, soutien de longue date du président Joseph Kabila. Durant des années, Glencore a cultivé des liens étroits avec lui, en dépit des accusations récurrentes de corruption le visant et qu'il a toujours réfutées. Cette alliance a aidé Glencore à devenir l'un des principaux producteurs de cuivre de la RDC.
Selon le quotidien anglais The Guardian, Glencore a pris soin de préserver les intérêts de Dan Gertler dans une importante mine congolaise, Katanga Mining, en lui prêtant 45 millions de dollars. L'Israélien devait en échange négocier un accord avantageux avec les autorités de la RDC. Selon une procédure judiciaire contre le fonds d'investissement Och-Ziff aux Etats-Unis, Dan Gertler aurait payé des pots-de-vin à des dirigeants congolais en échange de droits miniers dans le pays.
Glencore a depuis mis fin à ses relations avec Dan Gertler, en lui rachetant ses participations minières pour 534 millions de dollars. Sur le plan judiciaire, l'Israélien n'a été inquiété ni aux Etats-Unis, ni en Grande-Bretagne, indiquait son avocat genevois Marc Bonnant au printemps dernier. Dans une déclaration aux médias partenaires des «Paradise Papers», Glencore a défendu la légalité et la légitimité commerciale de ses transactions avec l'Israélien.
Attaque informatique
Les révélations concernant les clients d'Appleby vont désormais se succéder durant toute la semaine. «Il y a des milliers de documents qui pourraient concerner quelque 100 000 personnes et entreprises, dont beaucoup de gens très riches, des top models et un pilote de Formule 1», explique une source ayant eu connaissance à l'avance du contenu de la fuite. «Ces gens ont peur de ce que la fuite pourrait révéler.»
Dans une déclaration publiée sur son site internet, l'étude Appleby a réagi avec amertume à ces révélations: «Notre firme n'a pas été l'objet d'une fuite mais d'une attaque informatique illégale. […] La cybercriminalité est un énorme problème pour les individus et les entreprises autour du monde, et nous pensons que ni les politiciens, ni les journalistes ne devraient l'encourager en faisant référence aux informations volées de cette façon, à moins que ce ne soit absolument nécessaire pour débattre de sujet d'intérêt public majeur. En l'occurrence, ce n'est simplement pas le cas, et nous pensons que le piratage doit être condamné pour l'acte criminel qu'il est, et que la nature privée des informations doit être respectée.»