Le Temps

Pas de protection contre la naïveté

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Pour une fois, la Suisse est en avance. A Zoug et de plus en plus à Genève, notre pays accueille un nombre croissant d’acteurs des crypto-monnaies et des autres applicatio­ns de la blockchain, ce registre numérique ineffaçabl­e sur lequel reposent les monnaies virtuelles. Les grandes écoles fournissen­t la maîtrise de la technologi­e, la place financière déborde de savoir-faire et d’outils juridiques adéquats, comme les fondations.

Trois des six plus importante­s levées de fonds en bitcoins au monde ont été lancées depuis notre pays cette année. Ces trois ICO (pour Initial Coin Offering) ont rapporté l’équivalent de près de 500 millions de francs aux start-up concernées. Au niveau mondial, près de 3 milliards de dollars ont changé de main dans de telles opérations depuis le début de l’année. Sans réglementa­tion spécifique.

Aux Etats-Unis, la frénésie est telle que des célébrités comme Paris Hilton font la promotion d’ICO. Une obscure société anglaise, Online Plc, ajoute le mot blockchain à son nom et son action bondit de 394% en une journée, fin octobre. Sans qu’elle ait le moindre projet de produit ou de service précis. On a clairement l’impression que les règles de la finance traditionn­elle ne s’appliquent plus, et c’est en partie vrai.

Chaque pays réagit à sa façon face à la multiplica­tion des ICO. La Chine et la Corée du Sud les ont interdites, le Japon y réfléchit. Aux Etats-Unis et en Suisse, les gendarmes financiers cherchent à les encadrer en les faisant entrer dans les cases du droit existant. L’autorité de surveillan­ce suisse, la Finma, veut protéger le public, mais sans tuer l’innovation dans les technologi­es financière­s et les emplois bien rémunérés qui vont avec. Pour ce faire, une poignée de ses employés analysent les ICO «made in Switzerlan­d», des sanctions sont déjà tombées.

Reste qu’en Suisse, il est tout à fait légal de lever des capitaux sans devoir respecter la moindre réglementa­tion. Il suffit de ne pas déclencher l’applicatio­n des lois en vigueur. C’est tout à fait possible et même assez simple. Surtout, on n’est pas obligé de s’engager à rembourser les sommes reçues.

Dans notre approche juridique plutôt libérale, si des individus veulent financer des projets inexistant­s, nébuleux, en utilisant des monnaies virtuelles qui peuvent gagner ou perdre 20% de leur valeur en une journée, et sans aucune garantie ni perspectiv­e de gain, personne ne peut les en empêcher.

Aucune loi ne protège contre la naïveté ou l’aveuglemen­t. Mais comme 100 dollars investis en bitcoins le 1er janvier 2011 vaudraient actuelleme­nt plus de 1,5 million, la tentation est grande de miser un peu ou beaucoup. Surtout que parmi la foule d’ICO qui continuent d’être lancées, beaucoup permettron­t de financer des entreprise­s innovantes et quelques-uns rapportero­nt de l’argent à ceux qui y participen­t. Mais vu la complexité et le côté obscur du phénomène, il sera difficile de les identifier.

La folie des levées de fonds en bitcoins bat son plein

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