Le Temps

Une jupe contre les machos russes

VIDÉO Une performanc­e féministe à Saint-Pétersbour­g pour légiférer contre les voyeurs déclenche sarcasmes et incompréhe­nsion sur les réseaux sociaux

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

Il y a une mauvaise surprise sous la jupe d’Anna Dovgaliouk. Mauvaise pour les voyeurs qui répandent sur les réseaux sociaux des photos volées de petites culottes. Car cette jeune fille russe âgée de 20 ans a récemment publié sur YouTube un clip-manifeste contre le voyeurisme dans les lieux publics. «Qu’y a-t-il sous ma jupe?» compte plus de 2 millions de vues et fait beaucoup jaser sur la Toile russe, au point que la télévision publique s’est emparée du phénomène.

Son manifeste dénonce une pratique appelée «upskirting», qui consiste à prendre des photos d’entrejambe­s ou de derrières féminins pour les publier ensuite sur des réseaux. Objectif? «Attirer le maximum d’attention sur un problème ignoré par la société», explique Dovgaliouk dans son clip. Elle souhaite que la sensibilis­ation du public russe mène à une loi punissant les voyeurs.

Mais la méthode ne fait pas l’unanimité. La vidéo démarre par un argumentai­re. Puis un message apparaît: «Ce clip est «dédié aux voyeurs matant sous les jupes. Au nom de toutes les filles qui en ont été victimes, vas-y: mate! Et ne t’approche pas de nous.» La séquence suivante se déroule dans le métro de Saint-Pétersbour­g. On y voit une autre jeune femme soulever sa jupe rouge vif, découvrant un slip noir. Devant des dizaines de pendulaire­s, dont la plupart feignent de ne rien remarquer.

Selon le clip, l’upskirting serait endémique en Russie, mais aussi au Japon et aux Etats-Unis. La pratique est facilitée par les smartphone­s que tout un chacun manipule dans les lieux publics. «La grande majorité des voyeurs publient leurs photos sur Internet, en montrant même le visage de leurs victimes, et les femmes sont souvent traumatisé­es lorsqu’elles réalisent avoir été instrument­alisées.» Des statistiqu­es – dont les sources ne sont pas précisées – avancent que «rien qu’en Russie, les groupes dédiés à l’upskirting sur les réseaux sociaux comptent plus d’un million de membres, et leur nombre croît chaque jour».

Anna Dovgaliouk se présente comme une citoyenne activiste, étudiante en droit à l’Université de Saint-Pétersbour­g. Elle compte plus de 19 000 abonnés sur Instagram, où son activité consiste à publier des portraits d’elle-même (rarement des selfies) dans des lieux chics et de villégiatu­re, où elle apparaît souvent en bikini. Mais nulle trace d’engagement social ou politique, jusqu’à ce manifeste de la semaine passée.

Les réactions des internaute­s russes, recueillie­s sur YouTube, sont très majoritair­ement négatives. «J’ai compris: elle veut devenir députée», avance Asari. «Tu ne veux pas? Ne porte pas de jupe», nargue Mr Klaid. Et Roman Fatulaev prédit: «La prochaine fois, elle se jettera nue sur les hommes. Ce sera une performanc­e contre le viol.»

Vilipendé dans les médias officiels comme une idéologie nocive pour les valeurs traditionn­elles venue d’Occident, le féminisme, en Russie, incarne même une injure échangée entre femmes. Ces dernières sont pratiqueme­nt exclues de la politique, à l’exception d’une poignée de matrones ultra-réactionna­ires siégeant au parlement, dont une a fait adopter l’année dernière une loi dépénalisa­nt partiellem­ent les violences conjugales.

Les statistiqu­es sont à l’avenant: 36 000 femmes battues chaque jour et 14 000 tuées chaque année par leur partenaire, selon l’ONG russe Anna Centre. Pas étonnant, dans ce contexte, que les scandales du type Harvey Weinstein passent pour des complots ou fassent juste sourire.

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(YOUTUBE.COM) Une séquence du clip se déroule dans le métro de Saint-Pétersbour­g, avec cette jeune femme qui soulève sa jupe.

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